mardi 6 février 2007

33- Chronolgie des événements de la signature du Protectorat Français (8ème Partie)

Au même moment un premier détachement tunisien de 500 hommes placé sous le commandement du général Si-Selim, était envoyé dans la haute vallée de la Medjerda, et ce détachement, loin de calmer l'effervescence, provoquait une sorte d'agitation parmi les tribus de la vallée. Plusieurs milliers de fantassins et de cavaliers de ces tribus, Ouchtetas, Chihia, Kharen et Ouarka, se réunissaient entre Souk-el-Arbaa et Ghardimaou.

Le 7 avril un parti de 2,000 à 3,000 Kroumirs se portait sur notre territoire entre les camps d'El- Aioun et Roum-el-Souk et ne reculait que devant l'arrivée de plusieurs bataillons de zouaves et de deux sections d'artillerie de montagne. Cette démonstration audacieuse avait été; il est vrai, précédée par une entrevue de trois généraux tunisiens avec le général Ritter, entrevue dans laquelle les délégués du bey avaient protesté de l'innocence et des intentions pacifiques des Kroumirs.
Tous ces incidents semblaient indiquer que les idées de résistance continuaient à prévaloir et que le bey cherchait seulement à gagner du temps, soit qu'il attendit un soulèvement en Algérie, soit qu'il espérât le concours moral de l'Italie et de l'Angleterre.

Le 16 avril, deux nouveaux incidents vinrent démontrer l'état d'aveuglement des Tunisiens et l'espoir qu'ils mettaient dans leur projet de résistance. La canonnière "l'Hyène", s'étant approchée de Tabarka, fut reçue à coups de fusil par les soldats réguliers qui occupaient le fort.
A la station de l'oued-Meliz, plusieurs Arabes se jetèrent sur un employé dans la journée du 13 et l'accablèrent de coups de couteau. Le personnel de la gare n'étant plus en sûreté rétrogradait sur Souk-el-Arbaa .
Les assurances de pacification données par les délégués du bey étaient donc sans valeur, et le ministère de la guerre agissait sagement en se préparant contre toute surprise et en ne laissant rien au hasard, service des munitions, des transports, des vivres et des ambulances.

Dés le 20 avril près de 500,000 rations étaient dans les magasins de Bône et de la Calle, le service des convois était assuré entre ces deux villes et les camps de la frontière. La colonne Logerot avait également tout le nécessaire en munitions et subsistances et la route de Souk-Ahras Sidi-Youssef était terminée.

Au 24 avril la concentration des troupes s'achevait et l'ordre était donné de franchir la frontière. Ce fut la colonne du sud, commandée par le général Logerot, qui entra la première en mouvement.
Le 24 au matin elle quittait le bordj français de Sidi-Youssef et pénétrait sur le territoire de la tribu tunisienne des Charen. Après plusieurs heures de marche sur un terrain broussailleux et raviné, elle atteignit la petite vallée de l'Ouadi-Allagh, sur les versants de laquelle étaient quelques douars.
Les goums arabes ouvraient la marche, portant le drapeau français, venaient ensuite le 2ème tirailleurs, les zouaves, les chasseurs d'Afrique, le 83ème de ligne et l'artillerie.
Les rares indigènes qu'on rencontrait n'avaient point l'attitude hostile et semblaient plutôt étonnés et en contemplation devant le bel ordre de la colonne française.
Le 24 au soir, la colonne couchait sans incident sur les bords de l'oued-Mellègue, apercevant dans le lointain les murailles et les minarets des mosquées du Kef.

Des projets de résistance n'avaient pas, heureusement pour la ville, l'assentiment de toute la population et même de tous les cheiks arabes. Notre agent consulaire au Kef, M. Roy, qui était en même temps le directeur du bureau télégraphique, tenait notre chargé d'affaires, M. Roustan, au courant de ce qui se passait dans la ville

Voici des dépêches qui retracent fort bien le désordre moral de la population du Kef en même temps qu'elles mettent en lumière l'énergie et le sang-froid de l'honorable M. Roy :

L'agent consu1aire de France au Kef, au chargé d'affaires de France à Tunis.
« Kef, 24 avril 1881 (midi).
Si-Rechid vient d'être informé que la colonne Logerot a passé la frontière ce matin et marche sur le Kef. »

« Kef, 24 avril (1 h 15 m soir).
Des armes sont distribuées à tous les hommes valides qui sont envoyés aux remparts; cela fait un peu plus de mille combattants.
La colonne Logerot va camper ce soir & l'oued-Mellégue, à mi-route de Sidi-Youssef au Kef. »

« Kef, 24 avril 1881 (7 h 15 m. soir).
Le cheikh Kaddour, chef de l'ordre de Sidi-Abd-el-Kader, vient de m'écrire pour me demander ce qu'il doit faire; je réponds qu'il n'a rien à craindre et que je ne saurais que l'engager à persévérer dans ses bons procédés à notre égard. »

« Kef, 24 avril 1881, (8 h soir).
Le cheikh Kaddour est disposé à aller à la rencontre de la colonne se présenter au général Logerot. Je crois que cette démarche aura d'heureux résultats, et, sauf meilleur avis, je délivrerai un mot d'introduction à Si Kaddour.
Nos ennemis font courir le bruit que je suis cause de la marche en avant de nos troupes. J'espère, malgré leurs menées, préserver nos protégés de toute violence. ». Roy

Le chargé d'affaires de France à Tunis, a l'agent consulaire au Kef.

« Tunis, 24 avril 1881 (8 h 50 m. soir).
Je vous engage à faciliter la démarche projetée par le cheikh Kaddour, et en général, tout ce qui pourra épargner une effusion de sang inutile. Vous pouvez dire à Si-Rechid que le bey m'a donné plusieurs fois l'assurance que ses troupes se retireraient devant les nôtres pour engager la lutte. Il fera donc bien de s'assurer des ordres du
Bardo avant de tenter aucune résistance. » Roustan

L'agent consulaire de France au Kef, au chargé d'affaires de France à Tunis.

Le 25 au matin, l'oued-Mellègue était franchi à gué, et, après s'être fait éclairer à quelques kilomètres en avant par les goums et les chasseurs d'afrique, la colonne entrait dans le défilé de Darrabia, gorge sauvage aux pentes escarpées, ou poussent quelques rares genévriers et de maigres bouquets de thuyas. Ce défilé fut le seul passage difficile entre la frontière et le Kef.
La colonne eut ensuite à traverser une série de plateaux sablonneux couverts de broussailles de romarin. A dix heures elle campait sur les hauteurs qui bordent l’Oued-Rmeuk ou R'mel à gauche ; l'avant-garde, composée des chasseurs d'Afrique et des zouaves; était à 4 kilomètres en avant, à 3 kilomètres seulement du Kef.

« Kef, 25 avril 1881 (8 h 30 m. matin).
Le général Logerot désir ne recevoir personne. Si-Rechid prétend qu'il ne serait plus écouté s'il conseillait aux habitants de ne pas défendre la ville; il télégraphiera au Bardo lorsqu'il aura reçu sommation de se rendre.
Les préparatifs continuent; il règne une grande agitation.
Il est possible que les Khamemsas et leurs voisins viennent concourir à la défense de la place. »

« Kef, 25 avril 1881 (10 h 10 m. matin).
J'ai suivi vos instructions d'hier au soir et je pense que tout se passera bien. Si-Rechid que j'ai revu n'a pu retenir ses larmes; il ouvrira probablement les portes de la ville après que le général Logerot lui-même aura envoyé un parlementaire. Le cheikh Ali-ben-Aïssa, qui j usqu'à ce matin a excité la population contre nous, m'a demandé à faire sa soumission. On a coupé la communication télégraphique avec l'Algérie. La colonne campe à Sidi-Abd- . Allah-Zeghir. »

« Kef, 25 avril 1881 (1 h 20 m. soir):
Jusqu'à midi, pas un Arabe du dehors n'était venu concourir à la défense de la ville, et on ne comptait plus sur les tribus voisines. Elles viennent d'annoncer leur prochaine arrivée. A cette nouvelle, Ali-ben-Aissa s'est retourné contre nous, et prêche la guerre sainte.
On dit que les contingents que réunit Hassouna-Zouari seront dirigés vers le Kef.
Je suis sans communication avec la colonne; mes tentatives pour informer le général de cette nouvelle situation sont restées inutiles jusqu'à présent. »

« Kef, 25 avril 1881 (3 h 35 m. soir).
Ce sont les goums algériens qui sont campés A Sidi-Abd-Allah-Zeghir. Les troupes françaises sont à l'oued-Remel à 9 kilomètres d'ici. Comme hier, elles se sont avancées sans éprouver de résistance. »

« Kef, 25 avril 1881 (7 h. 15 m. soir).
Les renforts que l'on attendait ne sont pas arrivés, d'autres part, le cheikh Kaddour a renvoyé chez eux les Arabes qui étaient descendus dans sa zaouïa. Nos amis ont agi, Ben-Aïssa, découragé, a renouvelé sa démarche de ce matin. »

« Kef, 25 avril 1881 (8 h 40 m. soir).
Toute idée de résistance est abandonnée. Une députation ira demain matin le dire au général Logerot de la part du khalifa, du cadi et de plusieurs notables; il reste à savoir s'il n'exigera pas que cette démarche soit faite par Si- Rechid. »

« Kef, 25 avril 1881 (9 h 10 m. matin).
Nous avons eu ce matin une nouvelle alerte causée par quelques Arabes du dehors, qui voulaient probablement faire naître une occasion de piller en ville. La population les a chassés; elle est bien décidée ouvrir les portes. Les magistrats et les principaux habitants l'ont déclare chez Si-Rechid en ma présence. »

Le 26, à six heures du matin, les troupes quittaient le campement et se dirigeaient vers le Kef. Les goums suivaient les crêtes de gauche, les chasseurs à cheval éclairaient la droite. Les tirailleurs, les zouaves et le 83ème s'étaient déployés dans la plaine pendant que la 3ème batterie du 26éme d'artillerie s'était établie sur le sommet d'un des mamelons qui forment à gauche les derniers contreforts montagneux sur lequel s'appuie le Kef.

Les portes de la ville étaient fermées, et de l'éminence où étaient placés nos artilleurs on pouvait apercevoir des soldats tunisiens et des Arabes debout sur les remparts et suivant les mouvements de nos troupes. Le 2ème tirailleurs, soutenu par les zouaves, avait pénétré dans un bois d'oliviers situé à 200 mètres des murailles, et le général Logerot venait d'envoyer le colonel de Coulanges pour demander au gouverneur Si-Rechid de rendre la place, lorsqu’un officier tunisien vint à onze heures et demie annoncer que les portes de la ville étaient ouvertes et que la Casbah serait livrée aux troupe françaises.

Nos troupes entrèrent en ville au son de la Marseillaise jouée par la musique du 83ème répétée par les échos des rues étroites et des hautes murailles de la ville arabe. Le colonel de Coulanges fut chargé d'occuper la ville avec un bataillon du 83ème de ligne, une batterie de 90, une section du génie et deux pelotons de cavalerie. Le reste des troupes françaises demeura campé dans la plaine. La prise du Kef n'avait coûte ni un homme ni un boulet.

Le gouverneur cependant, Si-Rechid, ne s'était décidé à ouvrir la place que devant les dispositions prises par le général Logerot et sur la certitude que la réSistance était impossible et inutile. Quarante-huit heures auparavant, le gouverneur du Kef avait songé à se préparer au combat. Les canons de la Casbah avaient été chargés et bourrés à éclater. Un certain nombre d'Arabes Charen étaient venus des environs dans la ville.
Plusieurs marabouts avaient prêché, la guerre sainte dans les mosquées. Des grands gardes avaient été postés la veille à 200 mètres en avant de la ville, et le 25 on avait pu avec des lorgnettes constater du camp français un mouvement de cavaliers entrant et sortant par la porte Bab-el-Amir.

« Kef, 26 avril 1881 (9 h 35 m. soir).
J'ai couru quelque danger ce matin en voulant, de concert avec les autorités, faire ouvrir les portes de la
ville pour envoyer un courrier à la colonne; maintenant tout danger a disparu; la ville entière assiége l'agence pour se recommander à nous. Le parlementaire est arrivé. »

« Kef, 26 avril 1881 (11 h 20 m. soir).
Les portes de la ville sont ouvertes ainsi que la Casbah ou le général va mettre garnison.
La colonne campera en dehors de la place. »

Ce que M. Roy eût pu ajouter pour compléter ce tableau, c'est que les partisans de la résistance avaient à diverses reprises fait des menaces aux Israélites soupçonnés d'être favorables aux Français. il eût pu ajouter que lui-même étant sorti avec un ouvrier pour réparer le fil télégraphique, des Arabes fanatiques l'avaient maltraité, empêché d'emporter son matériel et contraint de rentrer chez lui en assiégé.

Dès que le général Logerot fut entré en ville et installé à la Casbah, il fit demander le gouverneur Si-Rechid pour prendre de concert avec lui les mesures nécessaires à l'installation des troupes d'occupation et à leur approvisionnement.
Si-Rechid, après beaucoup d'hésitations, se décida à cette entrevue et monta à la Casbah avec M. Roy.
Le général Logerot garantit la vie et les biens des habitants, mais demanda en échange que le général tunisien répondit de la sécurité de nos convois. Si-Rechid se répandit en promesses, m'ais quelques Jours après il prêtait en secret la main à des tentatives de trouble dont la fermeté et la prudence du colonel de Coulanges eurent heureusement raison.

La masse de la population du Kef parut du reste accepter avec résignation son sort et chercher surtout à tirer profit de la présence des troupes. « Dans la première heure », dit un correspondant, « les habitants cachaient leurs poulets. A midi, ils les vendaient à vingt sous; le soir, 2 fr. 50 ; le lendemain matin, 4 francs. »

Le lendemain, pour plus de sécurité, le colonel de Coulanges faisait procéder au désarmement de la population.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

bravo pour cette nouvelle page d'histoire
et
bravo pour ta réplique moldave sur mon Blog:
http://rachedelgreco.blogspirit.com/archive/2007/02/06/que-veulent-les-usa.html#c1434010

@++

Anonyme a dit…

"Les Kroumirs ne s'étaient pas révélés dans ce combat des ennemis bien redoutables. Ils étaient environ dix fois plus nombreux que nos troupes et avaient une position très forte. De plus les compagnies du 59ème étaient restées un certain temps sans cartouches, ayant épuisé leur provision. Malgré ces avantages; nous m'avions perdu, qu'une douzaine d'hommes après neuf heures de fusillade.
Cela ne ressemblait pas assurément aux anciennes guerres d'Afrique, et, tout belliqueux qu'ils pussent être, les rebelles tunisiens n'étaient pas à comparer aux soldats d'Abd-el-Kader."

Plus tard il fera le constat que plus on va vers l'est et moins il y a de résistance . Que les gens du sahel sont très attachés à leurs terres et que par conséquent pas très disposés pour le combat . On l'est toujours apparemment attaché à nos terres et nos biens, toujours aussi cons . Il dira que la ville qui offrit le plus de résistance fut la ville de sfax et le sud en géneral . Peut-être que les liens maritimes leur permettaient de recevoir des armes de l'egypte . Sinon je remarque que comme pour les conquêtes anglaises se sont toujours les soldats locaux qui sont utilisés pour faire la basse besogne qui consiste à se battre contre leurs frères de race et de religion pour servir les intérêts du blanc de l'époque . Plus tard se sont des tunisiens et des algériens qui se battront au maroc et ainsi de suite jusqu'a la guerre d'indochine . El hassilou, j'ai toujours envie de dire qu'on est des moins que rien parce qu'apparemment ça n'est pas finit on le retrouve ce scénario en irak avec la servilité dont font preuve certain irakien . On le retrouve aussi sur cette blogosphère avec un paquet de zouave au service de l'oncle sam et tonton anatole .
Rien n'a vraiment changé, nous sommes toujours aussi impuissants .

Téméraire a dit…

@ElGréco: Merci pour votre passage, mon plaisir est de partager l'information que je trouve intéréssante et non vulgarisée

@ouhayed loubya : De toute façon, l'histoire se répéte toujours à quelques détails près.

Je te rejoint au niveau de ton commentaire et j'ajoute qu'il faut tenir compte que le texte a été écrit par un auteur français à une époque très récente des événements, et il n'avait aucun intérêt à montrer l'héroisme des Tunisiens.
D'autres événements vont suivre et qui vont montrer vraiment la combattivité farouche de plusieurs tribus.

Si on remonte plus dans l'histoire on constatera que les tribus bebéres ont été pacifiques à la limite de la soumission, sauf dans les cas ou ils arrivent à constituer un royaume indépendant (Syphax, massinissa, Jugurtha).
Donc, ce n'est pas étonnant que ces tribus s'inclinent vers la neutralité et acceptent le nouverau envahisseur comme ils l'ont toujours fait.