jeudi 30 juillet 2009

76- La Conquête de Tunis par les Turcs (4ème partie)

De l'autre côté du canal, des travaux furent également entrepris. Quand tout fut à peu près terminé, un pont jeté sur le canal relia les deux parties de la Goulette, et assura les communications réciproques.
Pour ajouter à ces ressources, on utilisa les batteries de quelques galères tirées à terre, et l'on ménagea à d'autres navires, mouillés dans le lac même, le moyen d'ouvrir leur feu sur l'ennemi, de quelque côté qu'il attaquât les retranchements.

Pour défendre ceux-ci, Khaireddine disposait de 4,000 turcs, de 1,000 janissaires et de 2,000 tunisiens. Il en confia le commandement supérieur à deux de ses lieutenants: Sinan, le Juif, et Ali, surnommé Caccia Diavolo, ou Chasse-Diable.
Quant aux vivres destinés la nourriture de tout ce monde, on devait les tirer de Tunis; et un service de barques, sans cesse allant et venant de la Goulette, pourvoirait a ces indispensables besoins.

Après avoir utilisé les bras de la population, Barberousse songea à en utiliser les passions. La guerre sainte fut proclamée. Les Imams prêchèrent partout la haine du nom chrétien; et de nombreux agents parcoururent les campagnes, pour exciter les fanatiques et réchauffer le zèle des indifférents. Ce fut dans ces dispositions que Barberousse attendit les forces menaçantes de Charles V.

Les préparatifs ordonnés dans les divers arsenaux étant terminés, Charles-Quint quitta Barcelone le 31 mai 1535, avec sa propre division, et celles fournies par les Flandres, le Portugal et Gênes. Elles se renforcèrent à Cagliari, où l'empereur arriva quelques jours après, des armements de Malte et d'Italie. Toute la flotte comptait 400 voiles dont 90 galères. L'armée se composait de 26,500 hommes, dont voici le dénombrement :

FLOTTE.
- Division d'Espagne, de Gênes et de Flandres : 54 galères, 70 gros navires, 54 bricks, sous les ordres d'André Doria.
- Division de Portugal : 27 navires, sous les ordres d'Antoine de Saldanha.
- Division d'Italie et de Malte : 36 galères, 28 gros navires, sous les ordres d'Alvar Bazan.
Plus les transports.

ARMEE DE TERRE.
INFANTERIE
- Division Espagnole ; vieilles troupes venues d'Italie : 4,000 hommes, sous les ordres du général Marquis de Guast.
- Division Espagnole, nouvelles levées : 8,000 hommes, sous les ordres du duc d'Albe.
- Division Allemande : 7,000 hommes, sous les ordres de Maximilien Piedra Buena.
- Division Italienne : 4,000 hommes, sous les ordres du prince de Salerne.
- Division Portugaise : 2,000 hommes, sous les ordres de l'Infant Louis de Portugal.

CAVALERIE
- Volontaires nobles de toutes nations : 1,000 hommes, sous les ordres du marquis de Mondejar.
- Cavalerie Espagnole : 500 hommes, sous les ordres du marquis de Mondejar.

Partie de Cagliari, la flotte se présenta sur la rade de Tunis dans la deuxième quinzaine de juin. On avait devant soi la terre ou fut Carthage, la place ou Saint Louis avait débarqué trois siècles auparavant. Les hommes de Charles-Quint; ne voyaient, qu'une côte aride et déserte, brûlée par le feu d'un soleil dévorant et semée de ruines gigantesques, ne se rattachant par aucun lien avec le passe; tout au plus savaient-ils qu'une armée de chrétiens était descendue autrefois sur cette terre pour y planter la croix qu'eux mêmes allaient essayer d'y fixer !

On débarqua sans éprouver de résistance de la part des Arabes ; et, de suite, on s'occupa des préparatifs de l'attaque. Après plusieurs chaudes affaires, ou de part et d'autre on fit des pertes assez sérieuses, et les travaux du siège étant d'ailleurs achevés, le feu fut ouvert le 14 juillet 1535 sur Halk el Oued, la Goulette qui, le même jour, tomba au pouvoir des Espagnols. Quatre-vingt-sept navires et trois cents canons tombèrent au pouvoir des vainqueurs.
La garnison turque l'évacua et se replia sur Tunis, en gagnant la ville par le lac, non sans perdre beaucoup de monde pendant toute la durée du trajet.

A la nouvelle du débarquement de Charles V, Moulay Hassan était accouru auprès de lui assez confus de n'être accompagné que de 150 cavaliers, au lieu du nombreux contingent qu'il s'était engagé à lui fournir. Néanmoins, l'Empereur le rassura généreusement, et lui promit de nouveau de le rétablir avant peu sur son trône.

La Goulette prise, l'ordre de se porter sur Tunis fut donné ; et, le 17 juillet, l'armée se mit en marche, en longeant la rive droite du lac.
Barberousse, à la tête de 9,000 homes de vieilles troupes, vint à la rencontre de l'Empereur à une lieue et demie environ de la ville, les deux armées se trouvèrent en présence et en vinrent aux mains : mais les troupes tunisiennes, composées de Turcs et d'indigènes, ne purent soutenir le premier choc des chrétiens, et furent tout aussitôt culbutées. En même temps que cette action s'engageait, presqu'en vue des remparts de la ville, les esclaves chrétiens brisaient les portes de leur prison, et se rendaient maîtres de la Kasbah.

Du haut de ses murailles, ils annoncèrent leurs succès à l'armée espagnole. Cette circonstance influa grandement sur l'issue de l'entreprise. Privée de sa défense principale, Tunis fut obligée de capituler.
Pendant la nuit, les Turcs campèrent encore sous les murs de la ville ; mais le lendemain Khaireddine, que ces échecs successifs avait découragé, se retira avec les débris de son armée, dans l'intérieur des terres, d'ou il gagna Alger abandonnant dans la Casbah de son éphémère capitale ses trésors et ses femmes.

L'empereur fut reçu à son entrée dans la ville par les différentes autorités, qui vinrent jusqu'en dehors des portes, pour lui-en offrir les clefs. Malgré cet acte de condescendance respectueuse, Tunis fut livrée au pillage, et ce pillage dura trois jours et engendra un carnage qui laissa 70,000 morts !

D'après les différents récits, sources, chroniques et historiens «le pillage aurait été autorisé pendant trois jours, mais le butin fut peu important, et les troupes frustrées auraient de ce fait assouvi leur vengeance en massacrant une partie des habitants sans égard pour le sexe ni l'âge ».
D'après l'historien tunisien Abdulwahab, Tunis comptait à cette date 180.000 âmes. Le tiers a été fait prisonnier; le tiers s'enfuit dans les parages de Zaghouan et le reste fut massacré. Les odeurs des cadavres décomposés par la chaleur incommodèrent le roi qui fut obligé de quitter Tunis le 27 juillet pour séjourner à Radès
Parallèlement à «ce carnage», «cette tuerie odieuse», «ces rapines et orgues», «ce massacre», les mosquées furent démolies et les bibliothèques incendiées. La profanation de la Grande Mosquée Zitouna et le viol de la sépulture du marabout Sidi Mahrez patron de la ville de Tunis furent évoqués avec forte émotion par les différents chroniqueurs et historiens et fut même interprété comme un acte «barbare».
Le chroniqueur Paolo Giovio qui avait accompagné le corps expéditionnaire décrit le désespoir de Moulay Hassan devant les livres arabes piétinés par les troupes espagnoles.

Signalons aussi d'autres toponymes portant encore l'empreinte de cette histoire mouvementée. Jusqu'à nos jours. L’une des portes de Tunis porte encore le nom de «Bab el Falla» (porte de la déroute ou puerta de la huida) qui rappelle la fuite des habitants de Tunis après sa prise vers Djebel Ressas et Djebel Zaghouan.

A suivre ...

jeudi 16 juillet 2009

75- La Conquête de Tunis par les Turcs (3ème partie)

Moulay Hassan, après avoir été chassé par Barberousse de ses états, errait depuis quelque temps au milieu des Arabes, qu'il excitait, à la révolution contre Khaireddine, en leur faisant un étalage pompeux de tous les biens dont il récompenserait leurs services s'ils arrivaient à le remonter sur le trône.
Il n'y a rien de si léger et de si inconstant que le peuple arabe ; ennemi de toute domination, il est toujours prêt à écouter celui qui flatte son amour pour l'indépendance ; n'ayant rien à perdre et tout à gagner dans une révolution, il est toujours prêt à s'armer en faveur du parti qui lui offre le plus d'avantages. Moulay Hassan n'eut pas de gêne à persuader plusieurs Cheikhs arabes, et ils commencèrent à se rassembler dans les plaines de Kairouan.

Khaireddine, en apprenant leurs mouvements, se contenta de leur écrire ces mots « Que celui d'entre vous qui reconnaît l'empire de notre souverain Seigneur et maître le sultan Souleiman, quitte au plus tôt l'armée des rebelles et vienne se réunir sous mes drapeaux ; car ceux qui ne profiterait pas de ce moment de clémence, et qui s'obstineront dans leur révolte, auront lieu de se repentir de leur témérité ».

En même temps Khaireddine assembla ses troupes et fit tous ses préparatifs pour aller dissiper cette armée d'Arabes, dont le nombre augmentait tous les jours. Lorsque, sous les ordres de Moulay Hassan, les arabes vinrent lui présenter le combat, il les mit sur le champ en déroute.
Etant un bon politique, Barberousse, il leur accorda même le pardon, il savait qu’il lui était très difficile de les poursuivre. Il leur expédia donc des lettres de grâce, et lorsqu'ils les eurent reçues, les principaux Cheiks se rendirent auprès de lui pour lui jurer foi et hommage.

II s'empara donc de Kairouan et des autres villes de la province, et régla partout la perception des impôts. Enfin il fit ouvrir par les 25 milles esclaves chrétiens que renfermait alors Tunis le canal de la Goulette, et créa un port où sa flotte fut parfaitement abritée. De ce jour, la Tunisie n'est plus qu'une province turque.


Mis encore une fois en déroute par l'usurpateur de son royaume, Moulay Hassan, s’enfuit vers Constantine, où il trouve un asile auprès du gouverneur de la province.
Dans son exil il se lia d'amitié avec un renégat génois nommé, Ximéa, qui voulant tirer profit de la situation, il lui conseilla de s'adresser à l'empereur Charles V, de réclamer son assistance et de lui offrir, en retour du service rendu, de se déclarer vassal de l'empire.
Moulay Hassan s'engageait, en outre, à seconder les opérations de l'armée impériale, avec un contingent d'Arabes qu'il se faisait fort d'amener sur la côte tunisienne, au moment de l'arrivée de l'Empereur.

Il lui écrivit la lettre suivante « … Barberousse, ce misérable Rais turc, né pour le malheur de la Barbarie, vient de s'emparer de mes états, et une des grandes raisons qui l'ont décidé à me persécuter, c'est l'attachement sincère que j'ai toujours eu pour toi; il est donc de ton honneur, et il y va de tes intérêts, Ô grand Roi ! de venir à mon secours et de me rendre l'héritage de mes pères.
Les forces que tu rassembleras sont plus que suffisantes pour me venger de Barberousse, et me replacer sur un trône qu’i1 m’a usurpé.
J’ai encore à mon service soixante mille hommes, avec lesquels j'irai l'assiéger par terre, tandis que tu viendras l'assiéger du côté de la mer.
Lorsque le Royaume de Tunis sera rentré sous mon obéissance, je t'en ferai l'hommage, et je me contenterai du titre de ton lieutenant. »

Charles-Quint avait été profondément irrité de l'heureux coup de main des Turcs et quand Moulay Hassan vint solliciter son assistance pour reconquérir la souveraineté et lui offrir, en retour du service rendu, de se déclarer son vassal, l'empereur accepta ces ouvertures avec empressement et associa à la conquête qu'il allait entreprendre l'Ordre de Malte, le Saint-Siège et le Portugal.

Des préparatifs considérables furent aussitôt commencés dans les arsenaux d'Espagne, de Gênes, de Naples et de Sicile ; les vaisseaux et les galères furent armés, et des approvisionnements de toutes sortes furent tenus prêts ; mais quelque profond que fût le secret dont on entoura les préparatifs, Barberousse en fut avisé. Au premier avis du danger, il demande du secours à Constantinople; mais le grand seigneur ne put lui en envoyer en raison de ses engagements militaires en Asie.
Barberousse ne se découragea point, et résolut de se défendre avec ses propres ressources.

Ayant reconnu que la ville de Tunis était incapable de résister à l'ennemi, si celui-ci parvenait à opérer un débarquement à la Goulette, il porta toute son attention sur ce point. Par ses ordres, de nouveaux travaux de défense furent ajoutés à ceux qu'il avait fait établir dans les premiers temps de la conquête.
Il les dirigea lui-même, et y employa tous les bras des esclaves chrétiens.

Laissant au mouillage de la Goulette douze de ses meilleures galères, il abrita le reste de sa flotte dans le petit canal qui joint le lac à la mer. Puis comme aucun ouvrage fortifié ne garantissait alors ce point avancé, véritable boulevard de la capitale, il fit élever, avec la plus grande célérité possible, une épaisse muraille, qui dût couper la langue de terre qui s'étend au nord-est du canal, dans la direction des ruines de Carthage, afin de mettre la Goulette à l'abri d'une attaque de ce côté.
Le temps ayant manqué pour achever convenablement ce grand travail, il fallut recourir à un expédient pour en tirer provisoirement un utile parti : on prit des avirons, des espars, tous les bois qui tombèrent sous la main. On les planta en terre, on les relia solidement entre eux; puis des milliers de sacs remplis de sable en assujettirent parfaitement le pied. A la base, on ménagea des embrasures pour y établir une batterie. Un fossé compléta ce premier système de défense.

A suivre ...

mardi 14 juillet 2009

74- La Conquête de Tunis par les Turcs (2ème partie)

La flotte se présenta d'abord devant Bizerte et y reçut le plus chaleureux accueil; les habitants offrirent même à l'amiral de se joindre à lui pour coopérer au succès de l'entreprise, mais Barberousse déclina leur proposition et se hâta de reprendre la mer, persuadé qu'en toutes circonstances la réussite d'un projet dépend toujours de la rapidité qu'on apporte à l'exécuter.

Le lendemain de son départ de Bizerte, Barberousse jetait l'ancre devant la Goulette. Les troupes de Barberousse se composent de 1800 janissaires, 6500 Grecs, Albanais et Turcs et 600 renégats, la plupart Espagnols. Quant à la flotte, elle était forte de 84 galères; mais, six sont retournées à Constantinople, dix autres ont été envoyées à Alger, quinze à Bône et quinze à Bizerte ; par ordre de Barberousse, dix-huit ont été aussi désarmées, de sorte que vingt seulement, avec sept grands navires amenés de l’île de Djerba par Sinan, tiennent la mer et croisent devant la Goulette.

Aussitôt, le bruit se répandit dans Tunis que le prince Rachid «le fils de la négresse» se trouvait à bord de l'escadre, et que, l'intention de la Porte Ottomane était de le rétablir sur le trône de son père, criminellement usurpé par Moulay Hassan. Ce bruit, habilement propagé par les agents de Barberousse, prit bientôt la consistance d'une nouvelle officielle et produisit un très grand effet sur l'esprit de la population déjà fatiguée du gouvernement existant. Elle prit les armes, se rua sur le palais de Moulay Hassan, le chassa de la ville et envoya de suite une députation à Barberousse, pour lui offrir sa soumission et le prier d'inviter Rachid à venir prendre possession du pouvoir suprême.
Moulay Hassan ramassa tous ses trésors, et prenant avec lui sa femme, ses enfants et ses serviteurs les plus affidés, il se retira, du côté du Djérid au milieu des Arabes.

Barberousse, heureux du succès de sa ruse, amène débarque le 16 août 1534, en toute hâte les 9,000 hommes de troupes qu'il avait amenés avec lui, les pousse sur Tunis, dont il traverse rapidement les faubourgs et court s'emparer de la Kasbah où il se fortifie.

Cependant, l'impatience gagne les habitants de la ville ; ils soupçonnent cette trahison, s'agitent, se rassemblent et demandent à grands cris leur nouveau souverain.
Barberousse se décide, il annonce à toute la ville que Les Béni Hafs ont cessé de régner et que ce n'est plus à eux, mais au délégué de la Porte qu’ils doivent obéir, et dont il est le représentant.

Comprenant qu’ils étaient joués, les Tunisiens envoyèrent dire secrètement à Moulay Hassan qu’il pouvait revenir, et que tous ils se réuniraient à lui, pour l’aider à chasser les Turcs.

Le 18 août 1534, Barberousse se présenta de bonne heure, dans la matinée, devant la porte d’El-Djazira avec 4,500 hommes ; au même moment, Moulay Hassan arrivait dans le faubourg opposé, suivi de 4,000 cavaliers arabes. Les Tunisiens avaient pris les armes et se rassemblaient tumultueusement, appelant le roi à grands cris ; mais les Arabes ne voulurent pas accompagner plus loin Moulay Hassan, et s’arrêtèrent dans le faubourg. Le roi entra seul dans la ville où les Turcs venaient de pénétrer par l’autre porte.
Pendant toute la journée, on se battit dans les rues. D’abord, les habitants eurent l’avantage. Plusieurs Turcs isolés furent massacrés, et les autres refoulés dans la citadelle que les Tunisiens pressaient de toutes parts. Le lendemain, Barberousse ordonna une nouvelle sortie : 1800 renégats et janissaires se précipitèrent dans la ville; leurs escopettes firent merveille et les Tunisiens s’enfuirent en désordre. Poursuivant leur victoire à travers les rues, les Turcs pénétrèrent dans les maisons et tuèrent tous ceux qui s’y trouvaient : 3000 Tunisiens, hommes, femmes et enfants succombèrent dans cette triste journée et 600 furent blessés ; quant aux Turcs leurs pertes sont de beaucoup inférieures.

Enfin, les habitants se soumirent à Barberousse et le reconnurent pour roi. Pendant que ceci se passait dans la ville, au-dehors Moulay Hassan, qui avait rejoint les Arabes, se trouvait dans un grand danger. Voyant que les Turcs étaient les plus forts, ses sauvages auxiliaires voulurent le livrer à Barberousse, et ce ne fut pas sans peine que Moulay Hassan parvint à leur échapper.

Le sultan déchu n'avait plus de ressource que parmi les Arabes; et ceux-ci, il est vrai, étaient bien nombreux et puissants. Alors Khaireddine tâcha de les attirer à son parti en flattant leur avidité et leur avarice.
Il écrivit aux principaux Cheikhs des Drid et des Nememcha, en leur envoyant des burnous, des draps et des présents, et que celui d'entre-eux qui pourrait saisir le sultan El-Hafsi et le lui amener, recevrait une récompense de trente mille ducats, tandis qu'au contraire celui qui protégerait son évasion, outre qu'il encourrait son indignation aurait à subir sa vengeance.

Les Arabes répondirent que les Sultans de la famille de Béni Hafs avaient coutume de leur donner annuellement depuis un temps immémorial des subsides convenus, en espèces et en denrées, et que si Khaireddine voulait se soumettre aux mêmes usages, ils passeraient à son service.
Khaireddine, satisfait de cette ouverture, leur fit dire qu'il consentait volontiers à leur payer les redevances établies en leur faveur, à condition, toutefois, qu'ils ne feraient point de tort à ses sujets, et qu'ils n'établiraient leurs campements que sur les bords du Sahara ou dans les plaines éloignées des villes. En conséquence, il les invita à lui apporter leurs registres, afin de prendre note de ce qu'il revenait à chacun d'eux annuellement, et pour s'assurer de ce qu'ils avaient reçu et de ce qu'on pouvait leur devoir encore pour l'année courante; car les Arabes ont grand soin de conserver les pièces authentiques qui constatent leurs droits et leurs privilèges, et de tenir un compte exact des paiements faits ou à faire par le gouvernement, aux époques fixées par l'usage.

Les Cheiks arabes commencèrent à donner la preuve de leur bonne volonté en se retirant dans le Djérid et ils envoyèrent leurs registres à Khaireddine. Le Pacha fit l'observation alors qu'ils n'avaient plus rien à prétendre du gouvernement pour l'année courante, et il les assura qu'au printemps prochain ils n'auraient qu'à se présenter pour recevoir leur Awayed (droit et du par la coutume).
En outre, et afin de leur inspirer plus de confiance, il envoya à chacun des cheiks arabes qui avaient des droits aux bienfaits du gouvernement, un Teskeré (billet) scellé de son cachet, et spécifiant la somme qui lui était due, avec l'ordre du paiement. Cette générosité de sa part disposa favorablement l’esprit des Arabes et les mit dans ses intérêts.

Ainsi cette une habilité politique fit rentrer dans son sillage les tribus arabes (Drid et les Nememcha) qui tenaient encore à Moulay Hassan. Les autres tribus imitèrent leur exemple, et reçurent aussi de grandes largesses.

A suivre ...

lundi 13 juillet 2009

73- La Conquête de Tunis par les Turcs (1ére partie)

Nous sommes en 1525, la dynastie des Beni Hafs, dont la fondation remontait à l'année 1228 avait fourni pendant plus de trois siècles une longue série de princes, sous le gouvernement desquels le royaume de Tunis avait compté au nombre des états florissants du monde musulman. Cette dynastie touchait au terme de ses prospérités, et sa chute même était prochaine. Cependant Moulay Mohamed soutenait dignement encore la réputation de ses ancêtres; mais on pressentait qu'après lui, nul prince ne pourrait porter, sans fléchir, le poids d'un aussi glorieux héritage

Moulay Mohamed avait eu plusieurs enfants de ses diverses femmes. A cause des rivalités entre les mères des princes, il s’est vu dans l'obligation de tenir enfermé son fils aîné Maamoun, homme extrêmement vicieux, pour l'empêcher de commettre un parricide.
Ainsi, Il désigna pour lui succéder son fils Moulay Hassan, au détriment de son aîné, grâce aux intrigues de sa mère, femme ambitieuse, qui nourrissait ce dessein depuis longtemps.

Donc, à sa mort, survenue en l'année 1525, le plus jeune de ses fils, Moulay Hassan, fut investi du pouvoir, au mépris du droit de ses frères. A peine s’est-il installé sur le trône, que, songeant à se débarrasser de tous compétiteurs, Moulay Hassan ordonna l’assassinat de ses frères. Deux furent immolés à ses terreurs jalouses; le troisième, Rachid, fils d’une esclave noire, parvint à s'échapper et se réfugia prés d'Abdallah, chef puissant d’une tribu arabe, dont il épousa la fille.

Moulay Hassan ne se trompait pas sur la désertion de son frère ; il prévoyait qu'il serait bientôt attaqué. Mais pour réduire autant que possible les moyens de trahison qu'il redoutait autour de lui, il dissimula ses craintes. Puis, un jour, il réunit dans un banquet tous ses parents : frères, sœurs, oncles, tantes, cousins, cousines, et tous ceux qui, de près ou de loin, avaient dans les veines du sang royal tunisien, sous prétexte de leur faire fête et de resserrer leur union.

A la fin du repas, quand il les eut comptés et qu'il se fut bien assuré que pas un ne manquait à l'appel, il les fit empoigner, fit crever les yeux à tous les mâles, quel que fût leur âge, et enfermer toutes les femmes dans des prisons bien gardées.

A la nouvelle de cette cruauté inouïe, Rachid, le frère fugitif, se met à la tête de l'armée de son beau-père, et soulève le plus de tribus qu'il peut ; mais ne se croyant pas encore assez fort il envoie demander du secours à Khaireddine Barberousse, qui venait d’acquérir un grand pouvoir, peut-être sans s'en douter, par la fondation de la régence d'Alger.

Khaireddine Barberousse accueillit le proscrit avec une bienveillance marquée, et, apprenant aussitôt le grand avantage qu'il pourrait tirer de cette circonstance, pour aider à la réalisation de son projet d'annexion de l'état de Tunis aux territoires qu'il avait déjà conquis, il engagea le prince à se rendre avec lui à Constantinople, ou son nom, sa réputation et son crédit lui feraient aisément obtenir les moyens de soutenir ses justes prétentions au trône de la Tunisie.

Rachid, plein de confiance dans ces assurances trompeuses, suivit Barberousse à Constantinople. La, le rusé corsaire persuada sans peine au sultan Soliman que la conquête de Tunis serait facilement réalisable, grâce à la division des partis, et qu'il suffirait pour les rallier et les dominer, de prendre ostensiblement fait et cause pour le prétendant.

Sur-le-champ, les préparatifs de l'expédition commencèrent, et, quelques temps après, une flotte formidable, aux ordres de Barberousse lui-même, quittait le Bosphore et faisait voile vers les côtes d'Afrique. Au moment où elle appareillait, Rachid qui, jusque là, avait gardé une foi entière dans les promesses de ses deux puissants patrons, se vit traitreusement arrêté par leurs ordres, puis jeté dans une prison d'État, d'ou il ne devait plus sortir.

A suivre ...