32- Chronolgie des événements de la signature du Protectorat Français (7ème Partie)
Nous n'avons pas de récit officiel du combat, mais voici les renseignements donnés par le Temps sur ce combat, renseignements conformes aux récits du Courrier de Bône et de la Seybouse :
Le capitaine Clément, du 59ème de ligne, accouru de Roum-el-Souk dés le matin du 31 mars, au secours de nos gens aux prises avec les Kroumirs des la veille, n'avait avec lui que 80 hommes, tous conscrits de l'année. De sept heures du matin midi, ces 80 conscrits soutinrent bravement le feu d'un millier d'Arabes qui, rampant dans les broussailles, se dissimulant derrière les moindres plis de terrain avec l'habileté du sauvage, venaient tout d'un coup s'élancer sur notre faible ligne en déchargeant leurs armes avec accompagnement de hurlements furieux. Ce ne fut qu'après quatre heures de lutte, alors que le nombre des ennemis croisait toujours et menaçait de l'envelopper entièrement, que le capitaine Clément se vit contraint d'expédier une estafette à Roum-el-Souk. pour demander du secours. Le commandant Bounin du 3ème zouaves venait d'y arriver, et ses hommes se mettaient en devoir de préparer le café; on renverse aussitôt les bidons et 130 hommes, sous le commandement du capitaine Drouin, s'élancent au pas de course dans la direction d'E1-Aïoun .
Le capitaine Drouin, enfant de troupe du régiment, dans lequel il sert depuis 1860, est un de ceux gui savent galvaniser leur monde ; malgré les fondrières et les difficultés présentées par le passage d'une foule de petits ravins sans eau courante, mais remplis d'une boue épaisse et profonde, les zouaves franchissent rapidement le trajet, et, sans se reposer un instant, viennent se placer en ligne à la droite du 59ème en ce moment débordé.
La fusillade continua violente et nourrie; les pertes d'hommes étaient cependant encore nulles de notre côté ; mais, vers quatre heures, l'ennemi de plus en plus nombreux fit un effort énergique et, tout en tiraillant à outrance, en vint jusqu'à engager la lutte corps à corps ; il fut promptement repoussé, mais en nous laissant à déplorer des pertes sensibles.
Quatre hommes du 59ème étaient tués avec trois zouaves; ceux-ci avaient en outre trois blessés. Un pauvre soldat, atteint d'un coup de feu à la tête, partit les bras en avant, courant inconsciemment dans la direction de l'ennemi, ainsi que cela se produit parfois sous l'influence du choc cérébral, et s'en alla tomber dans les broussailles voisines de la rivière. C'est celui dont certains journaux ont dit qu'il avait été mutilé par les Kroumirs, retrouvé encore respirant et porté à l'hôpital militaire de la Calle ou il serait mort.
La vérité est qu'il mourut sur le coup et que les Kroumirs firent dire le soir à nos gens qu'il gisait dans la broussaille ; craignant une embuscade, on ne put aller l'enlever pour l'ensevelir immédiatement, mais ce soin fut pris le lendemain après la retraite définitive de l'ennemi et l'arrivée des renforts.
Le combat avait duré onze heures; il ne se termina qu'à la nuit, les Kroumirs rentrant chez eux, et la petite colonne française faisant de son côté retraite sur Roum-el-Souk, car ses munitions, sans être absolument épuisées, touchaient à leur fin.
La compagnie du 59ème, dans toute sa journée ; et des zouaves, dans l'après-midi, avaient tiré en tout près de 15,000 cartouches.
Les Kroumirs ne s'étaient pas révélés dans ce combat des ennemis bien redoutables. Ils étaient environ dix fois plus nombreux que nos troupes et avaient une position très forte. De plus les compagnies du 59ème étaient restées un certain temps sans cartouches, ayant épuisé leur provision. Malgré ces avantages; nous m'avions perdu, qu'une douzaine d'hommes après neuf heures de fusillade.
Cela ne ressemblait pas assurément aux anciennes guerres d'Afrique, et, tout belliqueux qu'ils pussent être, les rebelles tunisiens n'étaient pas à comparer aux soldats d'Abd-el-Kader.
Mais au 20 avril comme au 31 mars le gouvernement se trouvait en face de deux inconnues qui n'étaient point sans péril. Les troupes du bey et les tribus de la Tunisie centrale, Ouchtetas, Ouarka, Charen, Ouled-Bou-Ghanem, ne se joindraient-elles pas aux Kroumirs ? Quelles difficultés de terrain allait-on rencontrer dans le pays des Kroumirs, sur lequel on ne possédait que des indications incertaines, mais qu'on savait cependant très accidenté, couvert de forêts, dépourvu de toute route et de tout moyen d'approvisionnement ? Etait-il prudent d'aventurer ~quelques milliers d'hommes dans un pays inconnu, difficile, au milieu d'ennemis dont on ne pouvait prévoir le nombre, qui pouvaient fuir sans cesse le combat, attirer nos soldats dans des défilés d'où ils ne sortiraient peut-être pas sans de graves pertes? N'était-il pas à craindre que le moindre échec, commenté et grossi, ne vînt augmenter l'audace de l'ennemi et précipiter dans ses rangs d'autres considérations du sud et de l'est non moins remuantes et plus nombreuses que les Kroumirs ?
Toutes ces hypothèses étaient très vraisemblables. Les renseignements qu'on possédait sur les tribus kroumirs évaluaient à 12,000 le nombre des hommes qu'elles étaient en état de mettre en ligne en appelant toute la confédération sous les armes. Les tribus de la Rekba, ou confédération du sud de la Medjerda, comptaient un nombre de fusils au moins égal.
D'autre part le gouvernement tunisien avait, dès le 10 avril, mobilisé une petite armée de 3,000 soldats et de 700 cavaliers sous le commandement de l'héritier du trône Ali-bey. Ces troupes étaient campées dans la vallée de la Medjerda, dans le but, disait le bey, de contenir les Kroumirs, en réalité, on l'a su depuis, pour se tenir en communication avec les tribus du nord et du sud de la Medjerda, encourager le premières à la résistance et au besoin soulever les secondes au moment psychologique.
Enfin on signalait une vingtaine de désertions parmi nos spahis et nos tirailleurs campés au Tarf, à Bou-Hadjar et à El-Aïoun. Nos indigènes de la province de Constantine étaient l'objet d’excitations parties de Tunis, et déjà, dans le sud d'Oran, le marabout de Moghar, Bou-Amema, avait commencé sa révolte par le massacre du lieutenant Weinbrenner.
Il était évident qu'au premier échec nous nous trouverions en présence d'un, soulèvement général sur toute la frontière, soulèvement dans lequel nos propres tribus pouvaient être entrainées par la peur ou le fanatisme. Dans ces conditions, un plan de campagne s'imposait : pénétrer d'abord sur le territoire des Ouchtetas, des Kharen, des Ouarka et des autres tribus du sud de la Medjerda afin de les forcer à rester chez elles par la crainte de voir leurs moissons coupées et leurs gourbis brûlés, en second lieu les tenir en respect définitivement par l'occupation d'El-Kef et de la haute vallée de la Medjerda.
Cette opération, dont la brigade Logerot était chargée, devait se faire parallèlement à une double invasion du pays des Kroumirs par la frontière en face des camps d'El-Aïoun et de Roum-el-Souk et par mer, en débarquant à Tabarka et dans la plaine située en face de l'île.
Tel fut le plan arrêté au ministère de la guerre, et l'on ne pouvait pas en choisir de plus prudent et d'un succès plus assuré. Il ne s'agissait pas dans la circonstance de se faire une moisson de gloire. Le but à atteindre était, de châtier les tribus rebelles en circonscrivant autant que possible l'étendue du soulèvement pour en avoir raison plus vite en perdant le moins de monde qu'il se pourrait.
Les opérations ne commencèrent que le 24 avril, à la grande impatience de l'opinion qui se demandait pourquoi nos soldats avaient attendu vingt jours avant de franchir la frontière. Ces retards soulevèrent de très vives critiques. Ils étaient des plus explicables cependant pour les personnes qui se trouvaient sur les lieux et qui se rendaient compte par leurs propres yeux des conditions du terrain des opérations.
Ces trois colonnes chargées d'opérer chez les Kroumirs étaient obligées d'emporter des approvisionnements considérables, le pays qu'elles allaient occuper n'offrant aucune ressource, souvent pas même de l'eau à boire. Il avait donc fallu faire venir de France 400,000 rations, réquisitionner près de 5,000 convoyeurs indigènes et 2,000 mulets. Il avait de plus été nécessaire de tracer des routes ou tout au moins des pistes pour permettre à l'artillerie et à la cavalerie de passer et pour relier les trois camps.
Les colonnes Logerot, de Brem et Gaume avaient eu une tache pareille et encore plus pénible. Le chemin de fer de Bône à Tunis n'atteignait pas encore Souk arrhas. Grace à l'activité des ingénieurs et aux nombreux chantiers improvisés, on put dès le 10 avril poursuivre la ligne de Bône plus loin que Duvivier, c'est-à-dire jusqu'à quelques kilomètres de Souk arrhas ; mais, au-delà de cette ville, il n'y avait même pas de route et les troupes devaient traverser un pays accidenté, rocheux, détrempé par les pluies, raviné, couvert de forêts, de chênes verts et de chênes-lièges. On ne pouvait pas commencer la campagne avant d'avoir établi entre Souk-Ahras et la frontière une ligne de communication sûre et facile qui permît d'approvisionner la colonne d'expédition. Où aurait-on fait passer l'artillerie et les convois? Ce qui étonne dans tout cela l'observateur consciencieux, ce n'est point le retard subi par l'expédition, c'est au contraire la rapidité avec laquelle le génie, les troupes et les ouvriers de la compagnie de Bône-Guelma ont improvisé en quelques jours une route de plus de 50 kilomètres.
Ce qui étonne surtout et douloureusement, c'est l'incurie de l'administration militaire algérienne qui, pendant 10 ans, n'a pas eu la prévoyance de tracer les routes nécessaires à la défense de notre territoire dans une région constamment exposée aux déprédations des tribus tunisiennes.
Ces préparatifs militaires n'avaient pas été sans jeter une vive émotion parmi les tribus tunisiennes et surtout dans l'entourage du bey. Les cheiks des diverses tribus kroumirs avaient tenu une importante réunion ; où ils avaient décidé de demander le concours du gouvernement. A la suite de cette réunion, ils avaient, tenté une démarche auprès du gouverneur de Beja. En même temps ils établissaient un cordon de postes sur les sommets des montagnes du Djebel-Addeda afin de surveiller les mouvements de nos troupes. Toutes les nuits on apercevait leurs feux sur les crêtes, et il était évident que nos préparatifs, loin de les abattre, les poussaient à la résistance.
Le gouvernement du bey paraissait lui-même dans ces dispositions. Son langage était toujours arrogant. A toutes les sollicitations amicales de M. Roustan le priant de joindre ses troupes à celles de la France pour rendre la répression plus rapide et moins sanglante, le bey répondait par de longues protestations contre ce qu'il appelait la violation de son territoire. Ces protestations étaient adressées à toutes les puissances et se terminaient par l'annonce de périls des plus graves pour les Européens établis en Tunisie.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire