12- La Tunisie sous la domination Turque et Husseinites (1514-1881) (1ére partie)
La domination turque en Tunisie dura un peu plus d'un siècle, de 1574 à 1705. Encore dans les dernières années du XVII siècle ne fut-elle que purement nominale. Les populations n'eurent pas à se louer de leurs nouveaux maîtres, qui ne se montrèrent pas plus préoccupés que leurs prédécesseurs des intérêts matériels de ces malheureuses contrées et qui leur infligèrent les désordres et les révolutions qu'amènent toujours les gouvernements militaires.
Pour assurer la domination de la Porte sur ses nouveaux sujets, Sinan-Pacha voulut créer à Tunis une force gouvernementale vigoureuse en état de réduire promptement les insurrections des turbulentes tribus du centre et de l'ouest. L'administration de la Régence fut confiée à un pacha nommé par le Sultan et gouvernant avec le concours d'un conseil ou Divan presque entièrement composé d'officiers de la conquête et d'une milice turque comptant cinq mille janissaires. Le pouvoir était partagé entre le Divan et le Pacha. Ce dernier avait l'administration civile, les finances et la police ; le divan réglait toutes les questions militaires.
Les officiers supérieurs de la milice étaient de droit membres du divan, que présidait un Agha choisi parmi les Kahias et les Boulouk Bachis, c'est-à-dire les généraux et les colonels.
Cette organisation dura peu. Au bout de deux ans les janissaires, blessés de l'arrogance de leurs chefs, massacrèrent les membres du Divan, en élevèrent d'autres et mirent à la tête du nouveau Divan un fonctionnaire révocable à leur volonté qu'ils appelèrent Dey, par opposition au Pacha-Bey qui représentait le Sultan.
Cette nouvelle forme fut encore changée au bout de dix ans. Les janissaires imposèrent au sultan le gouvernement direct du Divan.
Le pacha délégué par Constantinople fut réduit au rôle de plénipotentiaire, on nomma un Bey chargé de l'administration de la police et des finances, le Dey ne fut plus qu'un personnage sans fonctions.
Le premier Dey avait été massacré par la milice ; le second, Ibrahim, se sauva à la Mecque pour échapper au même sort; le troisième Dey, Kara Othman, prit plus d'autorité sur les milices et le Divan qui l'avaient élu, mais quelques années plus tard le pouvoir passa aux beys, et l'un deux, Mourad, affermit son indépendance par des victoires sur les Algériens, auxquels il reprit le Kef et les districts du Djérid.
Les janissaires revinrent ensuite au pouvoir, et pendant un demi-siècle ce ne fut plus qu'une série de révoltes, d'intrigues de palais, de séditions militaires au cours desquelles le conseil du Divan fut le véritable administrateur du pays.
Nous n'avons pas besoin de dire que la Tunisie souffrit beaucoup. Ce régime ne lui accordait aucune sécurité et la livrait sans défense à la merci de la soldatesque turque. Il finit d'ailleurs vers 1600, époque à laquelle Mohammed Chelebi, le dernier des beys élus, fut renversé du trône par les deux frères Ali Bey et Mohammed Bey, officiers généraux des janissaires.
La mort de Mohammed Chelebi marque la fin de la domination ottomane et du gouvernement des janissaires. Les deux frères Ali et Mohammed réussirent à comprimer la turbulence des milices. Parvenus à la suprême puissance par la force des armes et sans les formalités de l’élection, ils résolurent de rendre le pouvoir Beylical héréditaire dans leur famille. Ali Bey, qui monta le premier sur le trône, consacra tous ses efforts à se rendre maître des milices turques, tantôt par des actes d'énergie, tantôt par des largesses habilement répandues. Son règne fut relativement calme et prospère. Il en eût été de même de celui de son frère Mohammed, si le Bey d'Alger Chaabane n'était venu le chasser de son trône et lui substituer un renégat nommé Ahmed Ben Chouk.
Mohammed remonta cependant sur son trône, qu'il laissa son second frère, Ramadhan Bey. Celui-ci, prince faible et débile, fut assassiné par son neveu Mourad, qui pendant plusieurs années se signala par des cruautés inouïes.
Mourad fut d'ailleurs assassiné lui-même par un janissaire nommé Ibrahim Chérif; ce dernier venait à peine de se faire proclamer Bey par le Divan, qu'il fut à son tour fait prisonnier par les Algériens qui avaient de nouveau envahi la Régence.
L'armée, privée de son chef, élut pour Bey à sa place un de ses principaux officiers, Hussein, fils d'un Corse renégat qui avait été esclave à Tunis et qui était devenu plus tard général.
Hussein Ben Ali est le fondateur de la dynastie qui règne actuellement à Tunis et qui administre ce pays sans interruption depuis près deux siècles.
La dynastie des Husseinites est certainement celle qui a donné à la Tunisie le plus de tranquillité et de prospérité. Sous leurs règnes, nous verrons souvent encore la Régence troublée par des révolutions de palais, mais les désordres seront de courte durée, le régime héréditaire s'établit à peu prés régulièrement, et les populations, protégées par quelques princes éclairés, vont reprendre avec l'Europe et l'orient les relations commerciales qu'elles avaient interrompues depuis prés d'un siècle.
La première pensée d'Hussein fut naturellement de consolider son trône, en s'assurant contre le retour d'Ibrahim, son prédécesseur. Les Algériens retenaient toujours celui-ci, mais avec l'intention d'en faire l'instrument de leurs projets sur Tunis ; cette ressource leur échappa, car, Hussein ayant attiré Ibrahim à Bizerte, ce dernier fut mis à mort. Hussein, tranquille pour sa dynastie, s'occupa de conclure des traités avec les puissances européennes et notamment avec la France. Son règne semblait devoir finir calme et paisible, lorsqu'une question d'hérédité vint jeter le nouveau Bey dans de graves embarras. Hussein, n'ayant pas d'enfants et renonçant à toute espérance de postérité, avait désigné pour son successeur son neveu Ali. Ce dernier avait été presque associé au pouvoir, lorsqu'une jeune captive génoise, entrée récemment au harem, devint enceinte et donna successivement trois fils à Hussein.
La captive chrétienne avait refusé de changer de religion. Le Divan reconnut cependant la légitimité des droits des trois enfants au trône de Tunis. Ali dut renoncer à la succession de son oncle, et recevoir, comme compensation, le titre de pacha de Tunis, qui faisait de lui le second personnage de la Régence.
Ali, prince ambitieux et non sans mérites, n'accepta point ce changement de situation. Il abandonna la cour de son oncle et, se mettant à la tête de tribus de la montagne, vint attaquer Hussein. Il fut d'abord battu et mis en fuite ; mais, appuyé par les Algériens, il rentra dans la Régence l’an, 1735, s'empara de Tunis et de Kairouan et fit assassiner Hussein.
Débarrassé de son oncle et rival, Ali s'occupa d'administration intérieure et extérieure. Il renouvela avec la France le traité conclu en 1780 et apporta diverses modifications dans l'établissement de l'impôt.
Il régnait depuis plus de quinze ans, lorsqu'il fut renversé du trône à la suite d'une de ces querelles de famille si communes dans les dynasties orientales.
Son second fils Mohammed suscita des troubles, pour faire écarter du trône le fils aîné Younès, celui-là même qui avait assassiné Hussein.
Younès ne conserva la vie qu'en se sauvant à Alger, où se trouvaient déjà les fils de Hussein. Les Algériens, qui ne cherchaient que des prétextes pour intervenir dans les affaires tunisiennes, accueillirent favorablement le fugitif, envoyèrent une armée à Tunis et se rendirent maîtres de cette ville. Ali Bey et ses fils furent saisis et étranglés. Les Algériens proclamèrent Bey, non pas Younès, mais Mohammed, l'aîné des enfants d'Hussein.
Mohammed, qui reçut l'hommage solennel de ses nouveaux sujets, était un jeune prince, d’un caractère doux et faible ; il mourut après trois ans de règne, laissant deux enfants en bas Age, que son frère Ali Bey s'empressa d'écarter du trône. Ali Bey s'empara du pouvoir en l'an 1759 de notre ère et, pour éviter les mésaventures survenues à ses prédécesseurs, il mit en évidence son propre fils Hamouda, en lui donnant le commandement général des troupes de la Régence; il épargna du reste la vie de ses neveux, et s'empara si bien de leur esprit, qu'à sa mort ils s'empressèrent de rendre hommage à son fils.
Sous aucun règne, l'État tunisien ne jouit d'une tranquillité aussi parfaite que pendant les vingt-trois années qu'Ali Bey resta sur le trône. Ce long règne ne fut troublé que par une expédition française contre Tunis, à la suite de l'incorporation de l'ile de Corse à la France.
Des pirates tunisiens avaient capturé des navires corses, et mis aux fers les gens des équipages. Ce n'était point le seul motif des réclamations de la France.
Ali Bey avait interdit la pêche du corail aux bateaux de la compagnie d'Afrique. Des bateaux corailleurs de cette compagnie ayant continué la pêche furent capturés dans les baies de Tabarka et de Bizerte; enfin, un navire de commerce français avait eu ses provisions pillées par un corsaire tunisien.
En juin 1770, une escadre française, commandée par le comte de Broves, vint bombarder Porto-Farina, Bizerte, Sousse, Monastir et la Goulette. Ces mesures n'avaient pas vaincu la résolution d'Ali Bey, qui refusait de céder aux réclamations de la France, lorsqu'un envoyé du sultan vint conseiller la paix et offrir, sa médiation. Un armistice fut accordé, des, conférences eurent lieu et un traité fut signé le 2 septembre. La compagnie d'Afrique obtint les privilèges qu'elle demandait. Les esclaves corses et les bâtiments corses pris sous le pavillon français furent restitués.
Pendant les douze années qui suivirent ce traité, les meilleures relations ne cessèrent de régner entre la France et la Régence de Tunis.
Le successeur d'Ali Bey qui monta sur le trône en 1782, Hamouda, était Agé de plus de 30 ans, lorsqu'il succéda à son père. Hamouda avait deux frères et cinq sœurs; l'ainé de ses frères mourut sans postérité ; le second de ces princes, Othman Bey, devait être le successeur d’Hamouda. Une de ses sœurs fut mariée à Mustapha Khodja, esclave géorgien qu'Hamouda avait affranchi et qui devint bientôt premier ministre. Mustapha, administrateur aussi habile et aussi actif que dévoué, fut un collaborateur précieux pour Hamouda. Dix-ans après son avènement au trône, son beau-frère étant mort, Hamouda ne lui donna pas de successeur, n'ayant trouvé à la cour aucun personnage qu'il pût investir de la même confiance.
La tranquillité intérieure de la régence fut un instant troublée par diverses agressions des Algériens et par les intrigues d'un fils de Younès Bey, nommé Ismaïl. Ce dernier cousin d'Hamouda habitait Alger, il demanda à rentrer Tunis et y fut autorisé sur la promesse formelle qu'il renoncerait à toute prétention au trône et serait un fidèle sujet du bey : Ismaïl tint ses promesses pendant plusieurs années, puis il conspira secrètement avec les Algériens. La conspiration ayant été découverte, il fut sur le champ saisi et étranglé au Bardo.
Hamouda crut trouver dans la révolution une occasion favorable pour rompre les traités qui liaient la régence de Tunis et le royaume de France. La marine de la République vint bientôt mettre fin à cette tentative hostile, et le Bey se vit obligé de traiter avec la Convention Nationale. Quelques années plus tard, en 1797, une ambassade tunisienne vint à Paris. Mohammed Khodja, chef de l'ambassade, présenta au Directoire exécutif les lettres de son maître ; puis, après avoir visité les principaux établissements de Paris, il retourna à Tunis chargé de riches présents pour le bey. Ces témoignages d'amitié n'empêchèrent pas une rupture l'année d'après, à la suite de l'expédition d'Égypte. Tunis envoya ses corsaires au secours du sultan ; la paix ne fut rétablie que le 7 août 1800. Ce fut la dernière lutte armée entre la France et la Régence, de Tunis.
(Demain la suite ....)
Source : En Tunisie : Récit de l’expédition française – Albert De La Berge – Librairie de Firmin-Didot et Cie - 1881
5 commentaires:
I was wondering: did you chose the title title or is it de la Berge's title? because you know that "domination Turque" is not really accurate... "ottoman" is the more appropriate word (especially during the 17th century in which ottomanized deys and beys were ruling rather than "turcs")... Anyways I appreciate your enthusiasm for history...
Thank youy for your comment. You are right, Ottoman is the apprropriate word. But I have kept the text as It was written by De La Berge.
Etrange, je croyais que Murad III ( abou bala) était le dernier des Dey? Mes souvenirs d'écoles sont surement mélangés! En tout cas merci pour ton blog.
Vraiment chapeau pour tous les efforts que tu fais pour nous eclairer un peu notre histoire de notre si chere Tunisie, j'apprends beaucoup de choses grace a ton blog,
juste continue wallahou al mousta3an
J'allais faire la meme remarque à savoir qu'on parle de l'empire ottoman (le règne ottoman) et non turc.
Cela dit, chapeau bas pour tous ces posts qui relatent différentes périodes de l'histoire de notre Tunisie
Enregistrer un commentaire