13- La Tunisie sous la domination Turque et Husseinites (1514-1881) (2éme partie)
Tranquille du côté de l'extérieur, Hamouda s'occupa de réaliser une réforme qu'il préparait de longue date. La milice des janissaires, bien que n'ayant plus le pouvoir d'élire le chef du gouvernement, avait conservé une grande puissance dans l'administration. Sous les règnes des beys Hussein et Ali, ses officiers avaient prétendu aux postes les plus élevés de l'État ; ils s'efforçaient de participer au règlement de toutes les affaires importantes, et formaient pour, ainsi dire dans l'état une sorte de faction occulte et presque toute-puissante. Hamouda, dès, son avènement, songea à réduire secrètement l'influence de ces milices turques ; il donna les principaux emplois à d'anciens esclaves géorgiens, à des membres des familles indigènes ou à des Européens renégats; en même temps il s'occupait de mettra un peu d'ordre dans, les finances et de réprimer les exactions des Kaïds et des kahias.
Ces sages mesures finirent par provoquer une insurrection des janissaires ; les conjures du parti turc devaient massacrer le bey et sa cour à l'entrée d'une mosquée un jour de prières, puis se porter en force au Bardo pour y égorger le reste de la famille royale et ses serviteurs. Le prince, averti, resta dans son palais et s'y fortifia. Les Turcs, se pensant découverts, se jetèrent sur la ville, la pillèrent, puis se réfugièrent dans la citadelle de Tunis. Les rebelles avaient arboré le pavillon vert de la Porte Ottomane et proclamé un nouveau Bey. Hamouda semblait gravement menacé; mais le gouverneur de Porto-Farina, qui lui était resté fidèle, souleva tous les Maures et les Zouaouas des régions environnantes. Le consul de France mit de son côté il la disposition du bey une trentaine d'artilleurs français, qui, prisonniers à Malte, venaient d'être mis en liberté par les Anglais. La citadelle de la Goulette fut enlevée aux rebelles qui, vigoureusement canonnés par les artilleurs français, durent évacuer la ville. Ils se retirèrent en marchant vers la côte, dans l'intention de gagner Tabarka et de livrer cette position aux Algériens ; mais, cernés par les Arabes des campagnes, ils durent livrer bataille près de Bizerte. La lutte dura toute une journée, les Arabes l'emportèrent. Les Turcs, au nombre de 600, durent mettre bas les armes et furent massacrés quelques jours après, à l'exception d'une trentaine; les autres, au nombre de 2,000, avaient succombé pendant la bataille.
Cette révolte est le dernier événement du règne d'Hamouda, qui finit en 1814. Le successeur d'Hamouda, Othman Bey, ne jouit pas du pouvoir aussi longtemps que son frère. Trois mois après son avènement, il était massacré, lui et ses enfants, par Mahmoud, petit-fils d'Hussein et chef de la branche aînée qu'Ali Bey et Hamouda avaient tenue écartée du trône. Mahmoud régna neuf ans et trois mois et mourut en 1824, laissant le trône de Tunis à son fils Hussein II. Le règne de ces princes fut marqué par deux faits importants, la suppression de la course des pirates et l'abolition de l'esclavage des chrétiens. Cette dernière mesure eut lieu à la demande de la France, et fut définitivement consacrée par un traité conclu le 8 août 1830 et qui porte la signature de notre consul général Matthieu de Lesseps. On comptait encore à cette époque plusieurs milliers d'esclaves chrétiens à Tunis. Il y avait un bagne particulier pour chaque nation, vaste bâtiment ou les captifs vivaient et mangeaient en commun; de temps en temps les gouvernements rachetaient leurs nationaux, mais beaucoup d'esclaves préféraient se faire affranchir et se marier avec des femmes indigènes. Un certain nombre se convertissaient à l'Islam et entraient dans l'administration de la Régence. Si l'on en croit Chateaubriand, qui visita les bagnes chrétiens de Tunis, à la fin du dernier siècle; la condition des esclaves y était fort douce ; les uns remplissaient des fonctions domestiques et étaient nourris et logés par leurs maîtres ; ceux qui avaient un bon métier payaient une redevance et pouvaient garder pour eux le surplus de leur salaire; ils pouvaient se racheter moyennant une somme qui variait de 500 à 1,000 francs.
Hussein II mourut en 1835, après un règne de onze ans et deux mois qui a laissé d'excellents souvenirs parmi les populations. La France n'eut qu'à se louer de ce prince, sur lequel la conquête d'Alger avait exercé une vive et salutaire impression. Son frère, Mustapha Bey, ne régna que deux-ans ; il eut pour successeur Ahmed Bey. Ahmed fut, après le Bey Hamouda, un des souverains tunisiens qui contribuèrent le plus fi faire jouir la Régence des bienfaits de la civilisation européenne. Il demanda à la France des officiers pour réorganiser son armée; il fonda une école militaire à Tunis sous la direction du commandant de Taverne et avec le concours de MM. Soulié et de Sers. En 1842, sur les instances du consul de France, i1 abolit l'esclavage pour les hommes de couleur et consentit à émanciper les Juifs. Vers 1838, Ahmed, ayant sollicité de la Porte Ottomane le titre de Pacha, fut invité à reconnaître la domination turque. S'y étant refusé, il vit arriver dans les eaux de Tunis une flotte turque commandée par Taher Pacha. Le gouverneur français crut devoir intervenir. L'amiral turc fut oblige de se retirer devant une de nos escadres commandée par les amiraux Lalande et Gallois. Ahmed se montra très reconnaissant de l'appui que lui avait accordé la France ; il protégea contre les tribus de l'intérieur les divers voyageurs français, qui, visitèrent la Tunisie et notamment notre consul à Soussa, le savant M. Pélissier. Il permit également à nos ingénieurs de dresser une carte générale de la Régence. Cette carte, publiée par le dépôt général de la guerre en 1848, fut dressée d'après les observations et les reconnaissances de M. Falbe, capitaine de vaisseau danois, et de M. de Sainte-Marie, officier d'état-major français. C'est également sous le règne d'Ahmed que fut élevée, au centre même des ruines de Byrsa, la chapelle de Saint-Louis de Carthage. Cette chapelle, construite par l'architecte Jourdrin; est en style gothique mélangé d'arabe. Dans le jardin qui entoure la chapelle on a réuni des statues et des marbres provenant de l'ancienne ville punique.
En 1845, le bey Ahmed reçut la visite du Duc de Montpensier, auquel il fit un accueil magnifique. Quelques mois plus tard, le Duc d'Aumale et le prince de Joinville vinrent également visiter la Régence. Ahmed Pacha ne voulut pas rester en retard avec la France et, en novembre 1846, il résolut de faire un voyage à Paris et s'embarqua sur un navire français, le Dante. Le Bey arriva à Paris le 23 novembre et logea à l'Élysée, il visita tous les monuments et fit distribuer unes somme de 25,000 francs aux pauvres de Paris avant son départ. Il avait précédemment donné 50,000 francs lors des inondations de la Loire. A son retour à la Goulette, passant de nuit aux environs du cap Blanc (Ras-El-Abiad), il reconnut que la côte offrait des dangers aux navigateurs, et ordonna d’établir un phare sur l'un des îlots des Chiens. Ahmed mourut en 1855, regretté par tous ses sujets et laissant, dit-on, un trésor évalué A 200 millions de francs ; il eut pour successeur Sidi Mohammed, son cousin, qui suivit sa politique et continua ses efforts pour introduire les sciences et les arts européens dans sa patrie.
Sidi-Mohammed ne régna que quatre ans, et laissa le trône à son frère Mohammed es Sadok, le souverain régnant, en 1859 Sidi Mohammed, qui avait reçu une éducation assez développée, promulgua, deux ans après son avènement, une constitution connue sous le nom de pacte fondamental et qui est un document assez curieux. Cette constitution, bien que libérale, fut fort mal accueillie et ne fut mise en pratique que pendant deux ans. Elle proclamait les droits héréditaires des Husseinites, mais instituait à côté du bey une sorte de conseil suprême composé pour un tiers de fonctionnaires et pour les deux autres tiers de délégués de la nation.
La Tunisie semblait paisible sous le gouvernement de Mohammed es Sadok, quand une augmentation d'impôts provoqua en 1864 une insurrection assez grave dans les montagnes du sud et du centre de la Régence; Le Bey vit son trône un instant menacé et l'Europe dut venir à son secours. Le port de la Goulette reçut la visite des escadres française, anglaise et turque. Les tribus arabes tinrent longtemps la campagne, encouragées par les intrigues turques et fournies de munitions par les agents anglais. L'énergie et la ruse du premier ministre Mustapha Khaznadar finirent cependant par avoir raison de l'insurrection. Plusieurs cheiks furent trahis, d'autres furent achetés, et une lourde contribution de guerre fut imposée aux vaincus. La même année, le caïd Nessim Chemama, trésorier des finances, s'enfuit en Italie laissant un déficit de 25 millions.
Le Bey avait emprunté en mai 1863 une somme de 35 millions à la maison Erlanger de Paris. Il fallut, en février 1865, conclure un second emprunt de 25 millions. Cet emprunt, souscrit par MM. d'Erlanger et Oppenheim, fut émis par le Comptoir d'escompte. Indépendamment de cette dette extérieure de 60 millions, le trésor tunisien était grevé par une dette intérieure de 40 millions. Telle était la situation financière de la régence il y a seize ans. Cette situation s'aggrava encore de cinq années de sécheresse et de disette. Le gouvernement tunisien, hors d'état de payer ses dettes, dut s'adresser aux gouvernements de France, d'Angleterre et d'Italie, en les invitant à étudier avec lui les mesures propres à sauvegarder les droits des créanciers. Une Commission Financière internationale fut instituée par deux rescrits du 5 juillet 1869 et du 23 mars 1870. Deux comités furent organisés : le comité exécutif, composé de trois fonctionnaires tunisiens et d'un inspecteur des finances français ; un comité de contrôle, composé de six membres, deux Français élus par les porteurs des emprunts 1863 et 1865, deux Anglais et deux Italiens élus par les porteurs de la dette intérieure.
Le général Khéreddine, gendre de Mustapha Khaznadar, auquel il avait succédé comme premier ministre, fut nommé président de la Commission Financière. M. Villet fut l'inspecteur des finances français désigné pour faire partie du comité exécutif. La Commission Financière arrêta la totalité de la dette à 125 millions de francs représentés, par 125,000 obligations de 1000 francs donnant intérêts à 5%. Les revenus du gouvernement furent évalués à 13,5 millions de francs. Une somme de 6,5 millions francs fut garantie sur ces 13 millions, par l'abandon de plusieurs impôts entre les mains de la Commission Financière. Les 7 millions restants devaient servir pour les dotations princières et les dépenses de l'État. Malheureusement, les impôts ne donnèrent pas ce qu'on attendait et, à la fin de 1877, le Bey avait dû ajouter plus de 6,5 millions de francs pris sur ses revenus personnels pour permettre à la commission de remplir ses engagements.
Pendant les premières années du règne d'Es-Sadok, sous l'inspiration de Mustapha-Khaznadar, gendre du Bey Ahmed et premier ministre des trois derniers souverains, la régence de Tunis était restée fidèle à l'alliance française. C'est vers 1864 que le général Khéreddine, gendre et successeur de Mustapha, appartenant au parti religieux, projeta de ramener la Tunisie sous la suzeraineté de la Turquie. Il n'osa pas d'abord mettre ses projets exécution et tint ses résolutions secrètes ; il a fallut nos désastres de 1870 et l'appui secret de l'Angleterre pour que le premier ministre d'Es-Sadok osât mettre ses intrigues au jour. Par un firman en date du 23 octobre 1871, le pachalick de Tunis ne fut plus qu'une dépendance de l'empire ottoman, dont le gouvernement fut confié au vizir Mohammed Es-Sadok et à ses descendants.
Le sultan interdit au Bey le droit de conclure avec les puissances étrangères des conventions ayant rapport aux affaires politiques, actes de guerre ou règlements de frontières. La prière publique devait être faite désormais pour le sultan, la monnaie frappée en son nom. Ce firman, que la France ne reconnut jamais, fut lu au bey le 15 novembre 18721 devant tous les officiers, les fonctionnaires publics, les cadis et les ulémas. Mohammed Es-Sadok ne s'est heureusement jamais conformé aux exigences de ce traité ; il frappa des monnaies à son propre nom, conclut directement des traités avec diverses nations européennes, et refusa d'envoyer des secours à la Porte lors de la dernière guerre d'orient. Son premier ministre Khéreddine ayant voulu l'entraîner dans la guerre turco-russe, le Bey n'hésita pas à le destituer (21 mai 1877). On sait cependant comment, obéissant aux instigations du consul italien Maccio, le Bey a prétendu récemment opposer à la France, en mai 1884, les droits de suzeraineté de la Porte dont il avait été le premier à ne pas tenir compte.
Source : En Tunisie : Récit de l’expédition française – Albert De La Berge – Librairie de Firmin-Didot et Cie - 1881
Ces sages mesures finirent par provoquer une insurrection des janissaires ; les conjures du parti turc devaient massacrer le bey et sa cour à l'entrée d'une mosquée un jour de prières, puis se porter en force au Bardo pour y égorger le reste de la famille royale et ses serviteurs. Le prince, averti, resta dans son palais et s'y fortifia. Les Turcs, se pensant découverts, se jetèrent sur la ville, la pillèrent, puis se réfugièrent dans la citadelle de Tunis. Les rebelles avaient arboré le pavillon vert de la Porte Ottomane et proclamé un nouveau Bey. Hamouda semblait gravement menacé; mais le gouverneur de Porto-Farina, qui lui était resté fidèle, souleva tous les Maures et les Zouaouas des régions environnantes. Le consul de France mit de son côté il la disposition du bey une trentaine d'artilleurs français, qui, prisonniers à Malte, venaient d'être mis en liberté par les Anglais. La citadelle de la Goulette fut enlevée aux rebelles qui, vigoureusement canonnés par les artilleurs français, durent évacuer la ville. Ils se retirèrent en marchant vers la côte, dans l'intention de gagner Tabarka et de livrer cette position aux Algériens ; mais, cernés par les Arabes des campagnes, ils durent livrer bataille près de Bizerte. La lutte dura toute une journée, les Arabes l'emportèrent. Les Turcs, au nombre de 600, durent mettre bas les armes et furent massacrés quelques jours après, à l'exception d'une trentaine; les autres, au nombre de 2,000, avaient succombé pendant la bataille.
Cette révolte est le dernier événement du règne d'Hamouda, qui finit en 1814. Le successeur d'Hamouda, Othman Bey, ne jouit pas du pouvoir aussi longtemps que son frère. Trois mois après son avènement, il était massacré, lui et ses enfants, par Mahmoud, petit-fils d'Hussein et chef de la branche aînée qu'Ali Bey et Hamouda avaient tenue écartée du trône. Mahmoud régna neuf ans et trois mois et mourut en 1824, laissant le trône de Tunis à son fils Hussein II. Le règne de ces princes fut marqué par deux faits importants, la suppression de la course des pirates et l'abolition de l'esclavage des chrétiens. Cette dernière mesure eut lieu à la demande de la France, et fut définitivement consacrée par un traité conclu le 8 août 1830 et qui porte la signature de notre consul général Matthieu de Lesseps. On comptait encore à cette époque plusieurs milliers d'esclaves chrétiens à Tunis. Il y avait un bagne particulier pour chaque nation, vaste bâtiment ou les captifs vivaient et mangeaient en commun; de temps en temps les gouvernements rachetaient leurs nationaux, mais beaucoup d'esclaves préféraient se faire affranchir et se marier avec des femmes indigènes. Un certain nombre se convertissaient à l'Islam et entraient dans l'administration de la Régence. Si l'on en croit Chateaubriand, qui visita les bagnes chrétiens de Tunis, à la fin du dernier siècle; la condition des esclaves y était fort douce ; les uns remplissaient des fonctions domestiques et étaient nourris et logés par leurs maîtres ; ceux qui avaient un bon métier payaient une redevance et pouvaient garder pour eux le surplus de leur salaire; ils pouvaient se racheter moyennant une somme qui variait de 500 à 1,000 francs.
Hussein II mourut en 1835, après un règne de onze ans et deux mois qui a laissé d'excellents souvenirs parmi les populations. La France n'eut qu'à se louer de ce prince, sur lequel la conquête d'Alger avait exercé une vive et salutaire impression. Son frère, Mustapha Bey, ne régna que deux-ans ; il eut pour successeur Ahmed Bey. Ahmed fut, après le Bey Hamouda, un des souverains tunisiens qui contribuèrent le plus fi faire jouir la Régence des bienfaits de la civilisation européenne. Il demanda à la France des officiers pour réorganiser son armée; il fonda une école militaire à Tunis sous la direction du commandant de Taverne et avec le concours de MM. Soulié et de Sers. En 1842, sur les instances du consul de France, i1 abolit l'esclavage pour les hommes de couleur et consentit à émanciper les Juifs. Vers 1838, Ahmed, ayant sollicité de la Porte Ottomane le titre de Pacha, fut invité à reconnaître la domination turque. S'y étant refusé, il vit arriver dans les eaux de Tunis une flotte turque commandée par Taher Pacha. Le gouverneur français crut devoir intervenir. L'amiral turc fut oblige de se retirer devant une de nos escadres commandée par les amiraux Lalande et Gallois. Ahmed se montra très reconnaissant de l'appui que lui avait accordé la France ; il protégea contre les tribus de l'intérieur les divers voyageurs français, qui, visitèrent la Tunisie et notamment notre consul à Soussa, le savant M. Pélissier. Il permit également à nos ingénieurs de dresser une carte générale de la Régence. Cette carte, publiée par le dépôt général de la guerre en 1848, fut dressée d'après les observations et les reconnaissances de M. Falbe, capitaine de vaisseau danois, et de M. de Sainte-Marie, officier d'état-major français. C'est également sous le règne d'Ahmed que fut élevée, au centre même des ruines de Byrsa, la chapelle de Saint-Louis de Carthage. Cette chapelle, construite par l'architecte Jourdrin; est en style gothique mélangé d'arabe. Dans le jardin qui entoure la chapelle on a réuni des statues et des marbres provenant de l'ancienne ville punique.
En 1845, le bey Ahmed reçut la visite du Duc de Montpensier, auquel il fit un accueil magnifique. Quelques mois plus tard, le Duc d'Aumale et le prince de Joinville vinrent également visiter la Régence. Ahmed Pacha ne voulut pas rester en retard avec la France et, en novembre 1846, il résolut de faire un voyage à Paris et s'embarqua sur un navire français, le Dante. Le Bey arriva à Paris le 23 novembre et logea à l'Élysée, il visita tous les monuments et fit distribuer unes somme de 25,000 francs aux pauvres de Paris avant son départ. Il avait précédemment donné 50,000 francs lors des inondations de la Loire. A son retour à la Goulette, passant de nuit aux environs du cap Blanc (Ras-El-Abiad), il reconnut que la côte offrait des dangers aux navigateurs, et ordonna d’établir un phare sur l'un des îlots des Chiens. Ahmed mourut en 1855, regretté par tous ses sujets et laissant, dit-on, un trésor évalué A 200 millions de francs ; il eut pour successeur Sidi Mohammed, son cousin, qui suivit sa politique et continua ses efforts pour introduire les sciences et les arts européens dans sa patrie.
Sidi-Mohammed ne régna que quatre ans, et laissa le trône à son frère Mohammed es Sadok, le souverain régnant, en 1859 Sidi Mohammed, qui avait reçu une éducation assez développée, promulgua, deux ans après son avènement, une constitution connue sous le nom de pacte fondamental et qui est un document assez curieux. Cette constitution, bien que libérale, fut fort mal accueillie et ne fut mise en pratique que pendant deux ans. Elle proclamait les droits héréditaires des Husseinites, mais instituait à côté du bey une sorte de conseil suprême composé pour un tiers de fonctionnaires et pour les deux autres tiers de délégués de la nation.
La Tunisie semblait paisible sous le gouvernement de Mohammed es Sadok, quand une augmentation d'impôts provoqua en 1864 une insurrection assez grave dans les montagnes du sud et du centre de la Régence; Le Bey vit son trône un instant menacé et l'Europe dut venir à son secours. Le port de la Goulette reçut la visite des escadres française, anglaise et turque. Les tribus arabes tinrent longtemps la campagne, encouragées par les intrigues turques et fournies de munitions par les agents anglais. L'énergie et la ruse du premier ministre Mustapha Khaznadar finirent cependant par avoir raison de l'insurrection. Plusieurs cheiks furent trahis, d'autres furent achetés, et une lourde contribution de guerre fut imposée aux vaincus. La même année, le caïd Nessim Chemama, trésorier des finances, s'enfuit en Italie laissant un déficit de 25 millions.
Le Bey avait emprunté en mai 1863 une somme de 35 millions à la maison Erlanger de Paris. Il fallut, en février 1865, conclure un second emprunt de 25 millions. Cet emprunt, souscrit par MM. d'Erlanger et Oppenheim, fut émis par le Comptoir d'escompte. Indépendamment de cette dette extérieure de 60 millions, le trésor tunisien était grevé par une dette intérieure de 40 millions. Telle était la situation financière de la régence il y a seize ans. Cette situation s'aggrava encore de cinq années de sécheresse et de disette. Le gouvernement tunisien, hors d'état de payer ses dettes, dut s'adresser aux gouvernements de France, d'Angleterre et d'Italie, en les invitant à étudier avec lui les mesures propres à sauvegarder les droits des créanciers. Une Commission Financière internationale fut instituée par deux rescrits du 5 juillet 1869 et du 23 mars 1870. Deux comités furent organisés : le comité exécutif, composé de trois fonctionnaires tunisiens et d'un inspecteur des finances français ; un comité de contrôle, composé de six membres, deux Français élus par les porteurs des emprunts 1863 et 1865, deux Anglais et deux Italiens élus par les porteurs de la dette intérieure.
Le général Khéreddine, gendre de Mustapha Khaznadar, auquel il avait succédé comme premier ministre, fut nommé président de la Commission Financière. M. Villet fut l'inspecteur des finances français désigné pour faire partie du comité exécutif. La Commission Financière arrêta la totalité de la dette à 125 millions de francs représentés, par 125,000 obligations de 1000 francs donnant intérêts à 5%. Les revenus du gouvernement furent évalués à 13,5 millions de francs. Une somme de 6,5 millions francs fut garantie sur ces 13 millions, par l'abandon de plusieurs impôts entre les mains de la Commission Financière. Les 7 millions restants devaient servir pour les dotations princières et les dépenses de l'État. Malheureusement, les impôts ne donnèrent pas ce qu'on attendait et, à la fin de 1877, le Bey avait dû ajouter plus de 6,5 millions de francs pris sur ses revenus personnels pour permettre à la commission de remplir ses engagements.
Pendant les premières années du règne d'Es-Sadok, sous l'inspiration de Mustapha-Khaznadar, gendre du Bey Ahmed et premier ministre des trois derniers souverains, la régence de Tunis était restée fidèle à l'alliance française. C'est vers 1864 que le général Khéreddine, gendre et successeur de Mustapha, appartenant au parti religieux, projeta de ramener la Tunisie sous la suzeraineté de la Turquie. Il n'osa pas d'abord mettre ses projets exécution et tint ses résolutions secrètes ; il a fallut nos désastres de 1870 et l'appui secret de l'Angleterre pour que le premier ministre d'Es-Sadok osât mettre ses intrigues au jour. Par un firman en date du 23 octobre 1871, le pachalick de Tunis ne fut plus qu'une dépendance de l'empire ottoman, dont le gouvernement fut confié au vizir Mohammed Es-Sadok et à ses descendants.
Le sultan interdit au Bey le droit de conclure avec les puissances étrangères des conventions ayant rapport aux affaires politiques, actes de guerre ou règlements de frontières. La prière publique devait être faite désormais pour le sultan, la monnaie frappée en son nom. Ce firman, que la France ne reconnut jamais, fut lu au bey le 15 novembre 18721 devant tous les officiers, les fonctionnaires publics, les cadis et les ulémas. Mohammed Es-Sadok ne s'est heureusement jamais conformé aux exigences de ce traité ; il frappa des monnaies à son propre nom, conclut directement des traités avec diverses nations européennes, et refusa d'envoyer des secours à la Porte lors de la dernière guerre d'orient. Son premier ministre Khéreddine ayant voulu l'entraîner dans la guerre turco-russe, le Bey n'hésita pas à le destituer (21 mai 1877). On sait cependant comment, obéissant aux instigations du consul italien Maccio, le Bey a prétendu récemment opposer à la France, en mai 1884, les droits de suzeraineté de la Porte dont il avait été le premier à ne pas tenir compte.
Source : En Tunisie : Récit de l’expédition française – Albert De La Berge – Librairie de Firmin-Didot et Cie - 1881
6 commentaires:
étrange vision de Khayreddin!
Le texte ne précise pas à qui et à quoi étaient destinés les emprunts contractés par le bey du protectorat . Comparez la situation dans laquelle nous a mis ce bey dépensier et celle de ahmed bey qui à laissé un trésor de 200 millions de francs .
Ce qu'il faut retenir de ce texte, c'est que ce pays lorsqu'il est bien géré peut produire de bons résultats palpables dans les chiffres et dans les bienfaits pour sa population .
Autre chose pas très important, tu ne mentionnes aucun texte de la victoire de tunis sur alger ou plutôt constantine en 1815 je crois .
Marou, n'oublie pas que le narrateur est un français! il est évident que Khéreddine savait que la France préparait à la Tunisie le même sort que l'Algérie!
Pour les tunisiens, Khéreddine était un réformateur, pour les français c'est qqun qui a retardé la colonisation de la Tunisie!
@Jahech: C'est ce que je publierai prochainement, un aperçu sur les "Mégalomanie de Ahmed Bey", qui a amené la Régence à la ruine.
@Marou & Islam_Ayeh: Bonne question Marou, très bonne réponse Islam.
La non affiliation de la Régence à la Grande Porte à permis à plusieurs puissances de l'époque (Français, Anglais), à des pays émergeants (l'Italie, l'Egypte) et même à de miniscules états (telque le Royaume de Sarde)à penser sérieusement à l'Occupation de la Tunisie.
Donc Khéreddine Grand Homme d'état (bien sûr il avait ces erreurs aussi) réformateur de l'Administration Tunisienne et enfin Grand Vizir à la Grande Porte, a bien compris que le fait que La Régence devienne vassal au Royaume Turc, donnerait le droit de suzeraineté de la Porte sur la Tunisie et empécherait tout autre états d'avoir des prétentions d'occupations
Bonjour,
pourrait-on connaître les références des pages publiées dans cet article svp ?
Merci.
@mlle 0':
Ils sont marqués enfin du texte :
Source : En Tunisie : Récit de l’expédition française – Albert De La Berge – Librairie de Firmin-Didot et Cie - 1881
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