76- La Conquête de Tunis par les Turcs (4ème partie)
De l'autre côté du canal, des travaux furent également entrepris. Quand tout fut à peu près terminé, un pont jeté sur le canal relia les deux parties de la Goulette, et assura les communications réciproques.
Pour ajouter à ces ressources, on utilisa les batteries de quelques galères tirées à terre, et l'on ménagea à d'autres navires, mouillés dans le lac même, le moyen d'ouvrir leur feu sur l'ennemi, de quelque côté qu'il attaquât les retranchements.
Pour défendre ceux-ci, Khaireddine disposait de 4,000 turcs, de 1,000 janissaires et de 2,000 tunisiens. Il en confia le commandement supérieur à deux de ses lieutenants: Sinan, le Juif, et Ali, surnommé Caccia Diavolo, ou Chasse-Diable.
Quant aux vivres destinés la nourriture de tout ce monde, on devait les tirer de Tunis; et un service de barques, sans cesse allant et venant de la Goulette, pourvoirait a ces indispensables besoins.
Après avoir utilisé les bras de la population, Barberousse songea à en utiliser les passions. La guerre sainte fut proclamée. Les Imams prêchèrent partout la haine du nom chrétien; et de nombreux agents parcoururent les campagnes, pour exciter les fanatiques et réchauffer le zèle des indifférents. Ce fut dans ces dispositions que Barberousse attendit les forces menaçantes de Charles V.
Les préparatifs ordonnés dans les divers arsenaux étant terminés, Charles-Quint quitta Barcelone le 31 mai 1535, avec sa propre division, et celles fournies par les Flandres, le Portugal et Gênes. Elles se renforcèrent à Cagliari, où l'empereur arriva quelques jours après, des armements de Malte et d'Italie. Toute la flotte comptait 400 voiles dont 90 galères. L'armée se composait de 26,500 hommes, dont voici le dénombrement :
FLOTTE.
- Division d'Espagne, de Gênes et de Flandres : 54 galères, 70 gros navires, 54 bricks, sous les ordres d'André Doria.
- Division de Portugal : 27 navires, sous les ordres d'Antoine de Saldanha.
- Division d'Italie et de Malte : 36 galères, 28 gros navires, sous les ordres d'Alvar Bazan.
Plus les transports.
ARMEE DE TERRE.
INFANTERIE
- Division Espagnole ; vieilles troupes venues d'Italie : 4,000 hommes, sous les ordres du général Marquis de Guast.
- Division Espagnole, nouvelles levées : 8,000 hommes, sous les ordres du duc d'Albe.
- Division Allemande : 7,000 hommes, sous les ordres de Maximilien Piedra Buena.
- Division Italienne : 4,000 hommes, sous les ordres du prince de Salerne.
- Division Portugaise : 2,000 hommes, sous les ordres de l'Infant Louis de Portugal.
CAVALERIE
- Volontaires nobles de toutes nations : 1,000 hommes, sous les ordres du marquis de Mondejar.
- Cavalerie Espagnole : 500 hommes, sous les ordres du marquis de Mondejar.
Partie de Cagliari, la flotte se présenta sur la rade de Tunis dans la deuxième quinzaine de juin. On avait devant soi la terre ou fut Carthage, la place ou Saint Louis avait débarqué trois siècles auparavant. Les hommes de Charles-Quint; ne voyaient, qu'une côte aride et déserte, brûlée par le feu d'un soleil dévorant et semée de ruines gigantesques, ne se rattachant par aucun lien avec le passe; tout au plus savaient-ils qu'une armée de chrétiens était descendue autrefois sur cette terre pour y planter la croix qu'eux mêmes allaient essayer d'y fixer !
On débarqua sans éprouver de résistance de la part des Arabes ; et, de suite, on s'occupa des préparatifs de l'attaque. Après plusieurs chaudes affaires, ou de part et d'autre on fit des pertes assez sérieuses, et les travaux du siège étant d'ailleurs achevés, le feu fut ouvert le 14 juillet 1535 sur Halk el Oued, la Goulette qui, le même jour, tomba au pouvoir des Espagnols. Quatre-vingt-sept navires et trois cents canons tombèrent au pouvoir des vainqueurs.
La garnison turque l'évacua et se replia sur Tunis, en gagnant la ville par le lac, non sans perdre beaucoup de monde pendant toute la durée du trajet.
A la nouvelle du débarquement de Charles V, Moulay Hassan était accouru auprès de lui assez confus de n'être accompagné que de 150 cavaliers, au lieu du nombreux contingent qu'il s'était engagé à lui fournir. Néanmoins, l'Empereur le rassura généreusement, et lui promit de nouveau de le rétablir avant peu sur son trône.
La Goulette prise, l'ordre de se porter sur Tunis fut donné ; et, le 17 juillet, l'armée se mit en marche, en longeant la rive droite du lac.
Barberousse, à la tête de 9,000 homes de vieilles troupes, vint à la rencontre de l'Empereur à une lieue et demie environ de la ville, les deux armées se trouvèrent en présence et en vinrent aux mains : mais les troupes tunisiennes, composées de Turcs et d'indigènes, ne purent soutenir le premier choc des chrétiens, et furent tout aussitôt culbutées. En même temps que cette action s'engageait, presqu'en vue des remparts de la ville, les esclaves chrétiens brisaient les portes de leur prison, et se rendaient maîtres de la Kasbah.
Du haut de ses murailles, ils annoncèrent leurs succès à l'armée espagnole. Cette circonstance influa grandement sur l'issue de l'entreprise. Privée de sa défense principale, Tunis fut obligée de capituler.
Pendant la nuit, les Turcs campèrent encore sous les murs de la ville ; mais le lendemain Khaireddine, que ces échecs successifs avait découragé, se retira avec les débris de son armée, dans l'intérieur des terres, d'ou il gagna Alger abandonnant dans la Casbah de son éphémère capitale ses trésors et ses femmes.
L'empereur fut reçu à son entrée dans la ville par les différentes autorités, qui vinrent jusqu'en dehors des portes, pour lui-en offrir les clefs. Malgré cet acte de condescendance respectueuse, Tunis fut livrée au pillage, et ce pillage dura trois jours et engendra un carnage qui laissa 70,000 morts !
D'après les différents récits, sources, chroniques et historiens «le pillage aurait été autorisé pendant trois jours, mais le butin fut peu important, et les troupes frustrées auraient de ce fait assouvi leur vengeance en massacrant une partie des habitants sans égard pour le sexe ni l'âge ».
D'après l'historien tunisien Abdulwahab, Tunis comptait à cette date 180.000 âmes. Le tiers a été fait prisonnier; le tiers s'enfuit dans les parages de Zaghouan et le reste fut massacré. Les odeurs des cadavres décomposés par la chaleur incommodèrent le roi qui fut obligé de quitter Tunis le 27 juillet pour séjourner à Radès
Parallèlement à «ce carnage», «cette tuerie odieuse», «ces rapines et orgues», «ce massacre», les mosquées furent démolies et les bibliothèques incendiées. La profanation de la Grande Mosquée Zitouna et le viol de la sépulture du marabout Sidi Mahrez patron de la ville de Tunis furent évoqués avec forte émotion par les différents chroniqueurs et historiens et fut même interprété comme un acte «barbare».
Le chroniqueur Paolo Giovio qui avait accompagné le corps expéditionnaire décrit le désespoir de Moulay Hassan devant les livres arabes piétinés par les troupes espagnoles.
Signalons aussi d'autres toponymes portant encore l'empreinte de cette histoire mouvementée. Jusqu'à nos jours. L’une des portes de Tunis porte encore le nom de «Bab el Falla» (porte de la déroute ou puerta de la huida) qui rappelle la fuite des habitants de Tunis après sa prise vers Djebel Ressas et Djebel Zaghouan.
A suivre ...
2 commentaires:
Merci Temeraire, c'est trés intéressant.
Je tiens à remarquer que j'ai l'impression que nous, Tunisiens, ignorons beaucoup de l'histoire de Tunis et de la Tunisie. J'ai l'impression que nos manuels d'histoire ne mentionnent pas cet partie de l'histoire par exemple. Il y a aussi la résistance armée face à la colonisation française et les fameux fallega qui ont été très margénalisés dans nos manuels scolaires.
Peut être que je me trompe et que ce n'est que moi qui a un trou de mémoire beant :)
En tous cas, encore une fois merci et j'attends le prochain poste avec impatience...
A chaque fois qu'un Pharaon accédait au pouvoir, il défigurait les icônes et les statues de celui qui l'a précédé ... et ça continue.
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