74- La Conquête de Tunis par les Turcs (2ème partie)
La flotte se présenta d'abord devant Bizerte et y reçut le plus chaleureux accueil; les habitants offrirent même à l'amiral de se joindre à lui pour coopérer au succès de l'entreprise, mais Barberousse déclina leur proposition et se hâta de reprendre la mer, persuadé qu'en toutes circonstances la réussite d'un projet dépend toujours de la rapidité qu'on apporte à l'exécuter.
Le lendemain de son départ de Bizerte, Barberousse jetait l'ancre devant la Goulette. Les troupes de Barberousse se composent de 1800 janissaires, 6500 Grecs, Albanais et Turcs et 600 renégats, la plupart Espagnols. Quant à la flotte, elle était forte de 84 galères; mais, six sont retournées à Constantinople, dix autres ont été envoyées à Alger, quinze à Bône et quinze à Bizerte ; par ordre de Barberousse, dix-huit ont été aussi désarmées, de sorte que vingt seulement, avec sept grands navires amenés de l’île de Djerba par Sinan, tiennent la mer et croisent devant la Goulette.
Aussitôt, le bruit se répandit dans Tunis que le prince Rachid «le fils de la négresse» se trouvait à bord de l'escadre, et que, l'intention de la Porte Ottomane était de le rétablir sur le trône de son père, criminellement usurpé par Moulay Hassan. Ce bruit, habilement propagé par les agents de Barberousse, prit bientôt la consistance d'une nouvelle officielle et produisit un très grand effet sur l'esprit de la population déjà fatiguée du gouvernement existant. Elle prit les armes, se rua sur le palais de Moulay Hassan, le chassa de la ville et envoya de suite une députation à Barberousse, pour lui offrir sa soumission et le prier d'inviter Rachid à venir prendre possession du pouvoir suprême.
Moulay Hassan ramassa tous ses trésors, et prenant avec lui sa femme, ses enfants et ses serviteurs les plus affidés, il se retira, du côté du Djérid au milieu des Arabes.
Barberousse, heureux du succès de sa ruse, amène débarque le 16 août 1534, en toute hâte les 9,000 hommes de troupes qu'il avait amenés avec lui, les pousse sur Tunis, dont il traverse rapidement les faubourgs et court s'emparer de la Kasbah où il se fortifie.
Cependant, l'impatience gagne les habitants de la ville ; ils soupçonnent cette trahison, s'agitent, se rassemblent et demandent à grands cris leur nouveau souverain.
Barberousse se décide, il annonce à toute la ville que Les Béni Hafs ont cessé de régner et que ce n'est plus à eux, mais au délégué de la Porte qu’ils doivent obéir, et dont il est le représentant.
Comprenant qu’ils étaient joués, les Tunisiens envoyèrent dire secrètement à Moulay Hassan qu’il pouvait revenir, et que tous ils se réuniraient à lui, pour l’aider à chasser les Turcs.
Le 18 août 1534, Barberousse se présenta de bonne heure, dans la matinée, devant la porte d’El-Djazira avec 4,500 hommes ; au même moment, Moulay Hassan arrivait dans le faubourg opposé, suivi de 4,000 cavaliers arabes. Les Tunisiens avaient pris les armes et se rassemblaient tumultueusement, appelant le roi à grands cris ; mais les Arabes ne voulurent pas accompagner plus loin Moulay Hassan, et s’arrêtèrent dans le faubourg. Le roi entra seul dans la ville où les Turcs venaient de pénétrer par l’autre porte.
Pendant toute la journée, on se battit dans les rues. D’abord, les habitants eurent l’avantage. Plusieurs Turcs isolés furent massacrés, et les autres refoulés dans la citadelle que les Tunisiens pressaient de toutes parts. Le lendemain, Barberousse ordonna une nouvelle sortie : 1800 renégats et janissaires se précipitèrent dans la ville; leurs escopettes firent merveille et les Tunisiens s’enfuirent en désordre. Poursuivant leur victoire à travers les rues, les Turcs pénétrèrent dans les maisons et tuèrent tous ceux qui s’y trouvaient : 3000 Tunisiens, hommes, femmes et enfants succombèrent dans cette triste journée et 600 furent blessés ; quant aux Turcs leurs pertes sont de beaucoup inférieures.
Enfin, les habitants se soumirent à Barberousse et le reconnurent pour roi. Pendant que ceci se passait dans la ville, au-dehors Moulay Hassan, qui avait rejoint les Arabes, se trouvait dans un grand danger. Voyant que les Turcs étaient les plus forts, ses sauvages auxiliaires voulurent le livrer à Barberousse, et ce ne fut pas sans peine que Moulay Hassan parvint à leur échapper.
Le sultan déchu n'avait plus de ressource que parmi les Arabes; et ceux-ci, il est vrai, étaient bien nombreux et puissants. Alors Khaireddine tâcha de les attirer à son parti en flattant leur avidité et leur avarice.
Il écrivit aux principaux Cheikhs des Drid et des Nememcha, en leur envoyant des burnous, des draps et des présents, et que celui d'entre-eux qui pourrait saisir le sultan El-Hafsi et le lui amener, recevrait une récompense de trente mille ducats, tandis qu'au contraire celui qui protégerait son évasion, outre qu'il encourrait son indignation aurait à subir sa vengeance.
Les Arabes répondirent que les Sultans de la famille de Béni Hafs avaient coutume de leur donner annuellement depuis un temps immémorial des subsides convenus, en espèces et en denrées, et que si Khaireddine voulait se soumettre aux mêmes usages, ils passeraient à son service.
Khaireddine, satisfait de cette ouverture, leur fit dire qu'il consentait volontiers à leur payer les redevances établies en leur faveur, à condition, toutefois, qu'ils ne feraient point de tort à ses sujets, et qu'ils n'établiraient leurs campements que sur les bords du Sahara ou dans les plaines éloignées des villes. En conséquence, il les invita à lui apporter leurs registres, afin de prendre note de ce qu'il revenait à chacun d'eux annuellement, et pour s'assurer de ce qu'ils avaient reçu et de ce qu'on pouvait leur devoir encore pour l'année courante; car les Arabes ont grand soin de conserver les pièces authentiques qui constatent leurs droits et leurs privilèges, et de tenir un compte exact des paiements faits ou à faire par le gouvernement, aux époques fixées par l'usage.
Les Cheiks arabes commencèrent à donner la preuve de leur bonne volonté en se retirant dans le Djérid et ils envoyèrent leurs registres à Khaireddine. Le Pacha fit l'observation alors qu'ils n'avaient plus rien à prétendre du gouvernement pour l'année courante, et il les assura qu'au printemps prochain ils n'auraient qu'à se présenter pour recevoir leur Awayed (droit et du par la coutume).
En outre, et afin de leur inspirer plus de confiance, il envoya à chacun des cheiks arabes qui avaient des droits aux bienfaits du gouvernement, un Teskeré (billet) scellé de son cachet, et spécifiant la somme qui lui était due, avec l'ordre du paiement. Cette générosité de sa part disposa favorablement l’esprit des Arabes et les mit dans ses intérêts.
Ainsi cette une habilité politique fit rentrer dans son sillage les tribus arabes (Drid et les Nememcha) qui tenaient encore à Moulay Hassan. Les autres tribus imitèrent leur exemple, et reçurent aussi de grandes largesses.
A suivre ...
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