52- Moulay Hassan : le Roi Efféminé de Tunis (1533)
Le capitaine Espagnol Ochoa d’Ercilla a été longtemps prisonnier du roi de Tunis, et, à peine arrivé à Tolède, il s’empresse communiquer les observations qu’il a recueillies pendant sa captivité.
« La ville de Tunis, dit-il, qui n’a qu’une mauvaise enceinte, sans fossés ni parapets, compte à peine 6,000 habitants. Elle était plus peuplée autrefois ; mais aujourd’hui elle est comme abandonnée ; beaucoup de maisons tombent en ruines. La Kasbah, entourée d’un mur en meilleur état que celui de l’enceinte de Tunis, est située dans la partie haute de la ville ; elle couvre une étendue assez considérable. La population des deux faubourgs, composée de Maures et d’Arabes, s’élève à 14.000 âmes ; elle a diminué comme celle de la ville. Le roi ne réside jamais dans l’un ou l’autre faubourg, car il est fort mal vu des habitants, qui ne lui obéissent que lorsqu’ils y sont contraints par la force.
On ne trouve dans la ville et dans les faubourgs aucune artillerie. Dans la kasbah, il y a un gros canon que le roi a fait fondre l’année dernière, deux autres pièces plus petites, une demi-couleuvrine et quatre sacres que les Maures de Tunis appellent cristianiscos, parce qu’ils ont été pris sur les chrétiens ; mais toute cette artillerie n’a ni trains, ni affûts, et je n’ai jamais vu, pour avoir soin de ces pièces et pour les servir, que quatre artilleurs (lombarderos), deux chrétiens et deux renégats. »
………………………………………………………………………
« Le roi de Tunis, Moulay Hassan, est un homme de trente cinq ans environ, bien fait, plus blanc que noir (mas blanco que negro), mais efféminé, ne s’occupant que de ses plaisirs, et tellement vicieux dans sa manière de vivre, qu’il n’est pas possible de le dire. Il habile rarement la ville et passe la plus grande partie de son temps dans ses nombreuses maisons de plaisance, chassant au faucon ou chantant et pinçant de la guitare au milieu de ses femmes. On dirait un coq au milieu des poules .
Il a 300 esclaves chrétiens pour le servir, sans compter ses Arabes et 24 eunuques noirs. Il dépense beaucoup d’argent, et on ne sait pas comment il peut faire, car on m’a assuré que ses revenus ne s’élèvent guère qu’à 150,000 doblas (1).
Le capitaine Ochoa parle ensuite de certains chrétiens qui habitent Tunis, los Rebatines, comme il les appelle.
« On sait que les rois de Tunis et les autres souverains du Maghreb entretenaient à leur service des hommes d’armes chrétiens. On trouve à ce sujet des détails intéressants dans certains traités conclus avec les rois d’Aragon. Les anciennes chroniques parlent aussi d’un noble vénitien, nommé Francesco Zuliani, qui fit longtemps la guerre en Afrique avec un corps de cavaliers pour le compte d’un roi de Tunis. Voici comment l’historien Ibn Khaldoun explique la présence des soldats chrétiens dans les armées africaines : « Les rois du Maghreb, dit-il, ont pris la coutume d’enrôler des troupes franques ; ils le font, parce que leurs compatriotes, en combattant, feignent toujours de fuir, puis, se retournant, reviennent fondre sur l’ennemi ; les Francs, au contraire, combattent en restant inébranlables à leur poste. »
« Les Rabatins de Tunis, dit Marmol, ainsi appelés parce qu’ils habitaient un des faubourgs de la ville (Rabat), descendaient de ces chrétiens musarabes que Jacob Almansor, de la lignée des Almohades, avait fait venir d’Espagne pour la garde de sa personne et pour s’en servir à la guerre. Passant par Tunis, il en laissa quelques-uns au gouverneur de ce royaume. Les Rabatins, tous gentilshommes, étaient fort riches et fort vaillants, et les rois en faisaient grand état, parce qu’ils s’opposaient à la furie des Arabes, Lorsque Charles-Quint s’empara de Tunis, ils entrèrent à son service, repassèrent en Europe avec lui; et se répandirent en divers endroits, où il leur donna quelques appointements. » »
(1) monnaie castillane d'or.
Source : L’occupation Espagnole en Afrique (1506-1574)
A. Jourdan, Libraire-Éditeur- Edition 1875