46- La Mer Intérieure Saharienne - Le Projet Roudaire (2ème Partie)
Les savants font à cette conception grandiose de nombreuses et sérieuses objections :
* Comme toutes les mers, grandes ou petites, la mer Saharienne aura ses tempêtes; les vents violents de la région bouleverseront la surface et les vagues viendront battre ces rivages jusque-là si nettement dessinés,
Les terres creusées par le flot seront emportées sous l'eau et se déposeront à quelques distances, adoucissant la pente et relevant le fond.
* Dans la saison des pluies, les cours d'eau plus ou moins torrentueux suivant la région qu'ils auront traversée, déposeront, à leur entrée dans la petite mer, le gravier et le limon qu'ils auront ramassés sur leur parcours. Il s'y formera des atterrissements, puis des deltas, avec leur accompagnement habituel de lagunes d'eau douce, puis d'eau saumâtre. Quand ces accidents se produisent au bord d'une vaste mer, ils peuvent, malgré de sérieux inconvénients, passer inaperçus; mais ils ont une tout autre gravité quand il s'agit d'une mer aussi resserrée et aussi peu profonde que celle qui sera crée.
Il est évident, en effet, que ces apports sans cesse renouvelés de matériaux solides dans un bassin fermé, en exhausseront insensiblement le fond et qu'avec le temps, en quelques siècles tout au plus, ils auront assez comblé la petite mer pour y rendre la navigation impossible. »
* Le plus grand danger viendra précisément du canal, sans lequel elle ne saurait exister. Au fait, il ne s'agit pas ici d'un simple canal de communication entre deux mers situées à très peu près, ou tout à fait au même niveau, comme celui de Suez, par exemple, mais d'un canal de remplissage, avec un courant dont le volume et la vitesse devront être en proportion de la capacité du bassin à remplir.
D'après les évaluations de M. Roudaire, le canal devra restituer chaque jour à la mer les 39 millions de mètres cubes d'eau que l'évaporation lui aura fait perdre, faute de quoi le niveau s'abaisserait rapidement.
Un cours d'eau capable d'amener, en vingt-quatre heures, 39 millions de mètres cubes d'eau sur un point donné est un fleuve, on peut même dire un grand fleuve, car ces 39 millions de mètres cubes reviennent à un débit de 484 mètres cubes d’eau par seconde.
La Seine, à Paris, en temps ordinaire, coulant avec une vitesse de 60 à 65 centimètres par seconde, débite, dans le même temps, 130 mètres cubes d'eau. La Garonne, à Toulouse, 180 mètres cubes. Ainsi, en supposant l'eau du canal animée de la même vitesse que celle de ces deux rivières, le fleuve artificiel, dont il aura fallu creuser le lit, aura trois fois le volume de la Garonne à Toulouse et près de trois fois et demie celui de la Seine à Paris.
Donc, il y a un fort risque pour que le passage de cette énorme quantité d’eau occasionne une grande dégradation aux parois du canal dans des terrains ameublis par les machines et les outils.
* Ce sera bien autre chose encore au moment des crues, car ce canal aura des crues ; en effet, dans les fortes chaleurs de l'été et principalement sous l'influence des vents brûlants du Sahara, l'évaporation pourra être doublée, et que la petite mer intérieure perdra par là, dans les vingt-quatre heures, jusqu'à 78 millions de mètres cubes d'eau. Naturellement le canal devra répondre à l'appel fait par ce vide. Il débitera alors 900 mètres cubes à la seconde, c'est-à-dire à peu près une fois et demie la quantité d'eau qui passe sous les ponts du Rhône, à Lyon, et avec la même vitesse. Il n'est pas possible de croire que les berges du canal résistent à un pareil torrent.
Elles seront emportées par l'eau, elles obstrueront le canal, et ce qui en arrivera à la mer intérieure y formera des atterrissements plus considérables que ceux que je signalais plus haut.
Le seul moyen d'empêcher ces dévastations serait de donner au canal une section assez grande ce qui risque de doubler le cout de l’investissement.
* L'eau de mer n'est pas toujours pure. Dans les gros temps, les vagues qui s'abattent sur les plages y soulèvent de la vase et du sable, et elles se troublent sur une zone plus ou moins large suivant la force et la durée de la tempête. Ces eaux troubles entreront immuablement dans le canal et iront épaissir la couche de sédiments, qui par d'autres causes se seront déjà déposés dans le bassin de la mer intérieure. Le canal lui-même s'ensablera, et par quel moyen le désensabler, si ce n'est en faisant entraîner par l'eau, toujours vers la mer intérieure, les matériaux déposés sur son fond? Il ne faut pas oublier que si ce canal est un fleuve artificiel, c'est aussi un fleuve à rebours, qui tire sa source de la mer au lieu d'y porter ses eaux.
* L'eau de mer tient en dissolution diverses substances qui s'en séparent à l'état solide quand elle est arrivée à son maximum de saturation, et celle de la Méditerranée est particulièrement riche sous ce rapport. Tant en sel ordinaire qu'en chlorure de magnésium et de potassium, en sulfate et carbonate de potasse, de magnésie et de chaux, et de quelques autres substances. elle contient sur 1,000 parties en poids, 41,64 parties de matières qui se précipitent à l'état solide quand l'évaporation l'a suffisamment concentrée. En supposant que le mélange de ces diverses matières ait trois fois la densité de l'eau (celle du chlorure de sodium est 2,13), 1000 mètres cubes de cette eau en s'évaporant laisseraient un résidu solide du 13 à 16 mètres cubes. Qu'on juge par là de ce que produirait l’évaporation journalière de 39 millions de mètres cubes, dès que la totalité d'eau de la mer intérieure sois arrivée à son point de saturation! On voit que les sédiments formés de cette manière sont loin d'être négligeables.
* La mer intérieure du Sahara ne sera jamais qu'un bassin fermé dans lequel s'accumuleront, sans cesse et sans relâche, des dépôts de toute nature provenus de sources diverses, et dont il n'y aurait aucun moyen de la débarrasser, car il ne faudrait pas espérer leur faire remonter le canal qui les aurait apportés. Elle s'encombrera inévitablement, et peut-être en moins de temps qu'on ne serait tenté de le croire ou premier abord.
* Certains savants nient que le prolongement du golfe de Gabès jusqu'aux chotts méridionaux de la province de Constantine amène un changement notable dans le climat général de l'Algérie et de la Tunisie, et cite à l'appui de cette opinion ce fait que la côte du Maroc, malgré l'évaporation immense produite par l'océan Atlantique, celles de Gabès et de la Tripolitaine, malgré le voisinage immédiat de la Méditerranée, présentent les caractères climatériques généraux, la flore et les produits agricoles du Sahara lui-même.
* La voie nouvelle, risque de n'avoir qu'une bien faible importance commerciale, car les caravanes du centre de l'Afrique ne se détourneraient pas de leur route ordinaire et continueraient à se diriger vers le Maroc et la Tripolitaine. Elles évitent surtout, dans la traversée du Sahara, les dunes de l'Erg, que, pour gagner soit l'Algérie, soit la Tunisie, elles auraient à franchir dans les plus grande étendue. La mer rêvée ne serait qu'un prolongement du golfe de Gabès et n'éviterait aucun frais de transbordement, ces frais restant les mêmes que si les marchandises étaient transportées directement à Gabès, délaissée pour Mogador et Tripoli.
* Il y a aussi la crainte que loin d'améliorer l'état de salubrité de la contrée, la mer intérieure ne crée un foyer pestilentiel, que l'influence de l'humidité atmosphérique ne soit nuisible à la culture du dattier, qui est la principale, pour ne pas dire l'unique de la région; enfin, la sécurité qu'elle pourrait apporter au frontières méridionales (françaises) est très contestable.
En résumé, aucun des avantages attribués à la création de la nouvelle mer ne parait pouvoir être sérieusement établi, et les centaines de millions à consacrer à l'entreprise seraient dépenses en pure perte pour l'intérêt généra1. Si cette mer existait, elle serait même un tel danger pour les intérêts français, que certains n'hésiterai pas à dire qu'il faudrait la combler.
Pour améliorer les conditions générales de la région et faciliter les relations commerciales, il serait plus judicieux de multiplier les puits, en rétablissant les puits effondrés, en plantant des arbres appropriés au climat sur tous les points où ils peuvent croître, en aménageant les eaux et en les distribuant par des aqueducs ou des canaux.
Se sont là les principales critiques des adversaires du projet de mer intérieure saharienne. M. Roudaire, et après lui M. de Lesseps, avec sa haute autorité, les ont discutées pied à pied en invoquant des arguments tirés des faits qui se sont produits aux lacs Amers et au canal de Suez.
Durant treize ans, la question de la possibilité et de l'utilité de la mer intérieure a été fortement controversée elle va connaître emballements, polémiques, rebondissements. Dès l’origine, l’Etat s’implique. Il détache l’officier auprès du Gouvernement général puis de l’Instruction publique ; il finance les missions, il publie les rapports, il arbitre puis tranche définitivement l’abandon.
5 commentaires:
Ils ont même essayé les explosifs dans l'atmosphères pour faire pleuvoir en tunisie .
Fascinant...
Ton blog est une source pure de culture, j'adore, surtout quand il s'agit d'un sujet qui nous concerne nous tunisiens. Pour une fois, notre histoire est mise en valeur.
Ou est-ce que tu trouves toiutes ces cartes?
@Touriste : je ne suis pas au courant du truc des explosifs, mais j'ai lu qq part que c'est faisable.
@Harissa: Merci pour le compliment, la plupart des cartes sont trouvables sur le Net, exemple de site : http://web.ulib.csuohio.edu/SpecColl/maps/MapSoc/Name_indx.htm
"Téméraire V5.0 Curieux de tout, Aventurier, impulsif, avec d'autres défauts beaucoup plus graves"
Surtout celui de ne pas donner ses sources et d'aller piller le web pour se faire briller.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Image:Carte_chotts_roudaire.jpg
Cher Bertrand: Ce Blog contient des textes que j'ai pas écrites, elles ont différentes origines néanmoins le web.
La référence la carte de wikipedia que tu viens de metter le lien est très ridicule de ta part. Devrai-je dessiner une carte moi-même pour montrer que j'ai donné un plus.
Il n'y a pas de références pour une simple raison: je suis un amateur de l'histoire, je suis loin, très loin d'être un historien. Enormément de textes publiés son issu d'un travail de synthèse à partir de plusiuers notes, textes, pages web et je n'ai pas le temps pour m'organiser et mettre ces références biblio.
Selon toi (bien connaisseur de l'histoire de notre pays), spécialement ce texte, combien de pillage et combien de travail personnel en %?
Je n'affiche pas mon identité, je ne met pas un livre d'or (pour mon orgueil personnel et je ne demande pas de compliments mais je m'accapare de trucs supposés être personnels pour les renddre publiques
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