mardi 18 août 2009

80- La Conquête de Tunis par les Turcs (8ème partie)

En 1573, Don Juan d’Autruche le glorieux vainqueur de Lépante, profita habilement de l’inaction momentanée de la flotte de Euldj-Ali pour quitter le mouillage dans les premiers jours d’octobre et naviguer vers Tunis, avec 138 navires de guerre, portant 27,500 hommes de débarquement.
Favorisés par le temps, les Espagnols abordèrent à la Goulette sans rencontrer d’ennemis et s’avancèrent contre Tunis sous la protection de ce fort. Les quelques Turcs qui gardaient la ville, avec Ramdhane-Pacha, ne tentèrent même pas une résistance inutile. Ils se retirèrent à Kairouan, où les Chabbïa les recueillirent, tandis que les Espagnols prenaient possession de Tunis.

Philippe II n’avait autorisé l’expédition de Tunis qu’en ordonnant à son frère naturel de détruire toutes ses fortifications, y compris le fort de la Goulette, élevé à si grands frais. Les idées alors en faveur dans la métropole consistaient à ruiner tous les retranchements pouvant servir aux Turcs sur le littoral, de façon à les exposer, sans résistance possible, aux attaques des indigènes de l’intérieur. Mais Don Juan rêvait alors une sorte de royauté africaine dont il aurait été le titulaire et, au lieu d’exécuter les instructions du roi d’Espagne, il s’appliqua à consolider sa conquête.
Ce projet était agréé par le pape. Il flattait ses idées de prosélytisme et il y voyait, en outre, un moyen de mettre l'Italie aussi bien que l'Espagne à l'abri des ravages que ce peuple de corsaires y portait sans cesse.

Moulay Hamed, qui était revenu avec Don Juan, et qui prétendait avoir provoqué l’intervention espagnole a refusé d'accepter le pouvoir aux conditions qui lui étaient imposées par le prince. Don Juan fit revenir de Palerme, son frère Moulay Mohamed, plus accommodant que lui, et le fut proclamé roi.
Moulay Hamed se retira en Sicile et mourut à Palerme, d'ou son corps fut, plus tard, transporté à Tunis est enterré dans la Zaouia (mausolée) de Sidi Kacem Zillidji.

Don Juan confia le commandement de Tunis à un officier éprouvé, le comte de Serbelloni (Cerballon), en le chargeant de construire une vaste forteresse entre le lac et la ville. Il lui laissa 4,000 hommes de troupes espagnoles et à peu près autant d’Italiens qui furent occupés sans relâche à la construction de la forteresse, travaillant même le dimanche, grâce à un bref du pape les y autorisant.
Le fort de la Goulette, bien armé et approvisionné, fut laissé sous le commandement de Porto-Carrero. Ce fut seulement après avoir pris ces dispositions que don Juan se décida à exécuter les ordres pressants de Philippe II, en abandonnant sa conquête.

Les Tunisiens avaient évacué la ville à l’approche des chrétiens et s’étaient retirés au Djebel-Ressas; ils rentrèrent peu à peu, mais leurs maisons avaient été dévastées, ou même étaient encore occupées par les chrétiens, et ils durent subir leur contact, surtout dans le quartier de Bab el-Djazira, tandis que celui de Bab Souïka conservait sa physionomie musulmane.

La forteresse de Bab Bhar s’élevait rapidement, et Moulay Mohamed, le dernier des Hafsides, fidèle aux stipulations qu’il avait acceptées, aidait de toutes ses forces le comte de Serbelloni, en partageant avec lui le pouvoir Celui-ci siégeait a ses côtés lorsqu'il rendait la justice, lui dictait ses arrêts, lui imposait ses idées, lui intimait jusqu'à ses ordres.
Toutefois, les habitants de Tunis avaient fort à souffrir dans leurs usages et dans leur religion du nouvel ordre de choses introduit par l'occupation espagnole. Ils voyaient leurs vainqueurs s'immiscer à tous les actes de leur vie; ils subissaient en frémissant leurs familiarités audacieuses avec leurs filles ou leurs compagnes, s'indignaient de leur irrévérence à l'égard des ministres du culte musulman et de leur peu de respect pour les lieux consacres à son exercice. Enfin, le retentissement incessant des cloches était comme une insulte permanente faite à leur foi la plus fervente. Aussi, les outrages des uns et l'extrême susceptibilité des autres causèrent-ils souvent des luttes fâcheuses entre les Espagnols et les habitants indigènes.

Quant à la garnison turque, obligée d'abandonner Tunis a l'approche de don Juan, elle s'était repliée sur Kairouan, où commandait un Pacha turc du nom de Haîder. Elle y demeura aussi longtemps que dura le règne de Moulay Mohamed.

La reprise de Tunis par le vainqueur de Lépante avait eu à Constantinople un retentissement fâcheux et peu s’en était fallu que le Capitan-Pacha perdit, pour ce fait, sa position et sa vie. Il fallait, à tout prix, se venger de cette surprise et personne ne s’y épargna.
Les pachas d’Alger et de Tripoli réunirent toutes leurs forces, tandis que l’on préparait en Orient une expédition formidable en se donnant rendez-vous pour le mois de juillet 1575 devant Tunis. Les Espagnols que Don Juan y avait laissés, prévenus de ces dispositions, ne perdaient pas leur temps, mais ils n’étaient pas en nombre suffisant et n’avaient cependant rien à attendre de Philippe II, irrité au plus haut point d’une occupation faite malgré lui.

Dès les premiers jours de l’été, le pacha de Tripoli amena un contingent de 4,000 hommes qu’il adjoignit aux Turcs de Kairouan, sous les ordres du caïd Haïder (ou Kheder) et aux goums de cette région, formant un effectif de près de 5,000 cavaliers; puis, arriva le contingent de Constantine et de Bône, fort de 2,000 hommes. Tous, alors, se portèrent sur Tunis afin de bloquer la ville au sud; mais le manque de ressources pour subsister força bientôt ce rassemblement à reculer vers la montagne.

Une expédition sous les ordres de Sinan Pacha quitta Constantinople en juillet 1575 ; elle se composait de deux cents galères, dix-huit maounas et d'autres bâtiments, grands et petits ; en tout, quinze cents voiles. Trois semaines plus tard, la flotte turque d’Orient parut en rade; elle ne tarda pas à aborder près du cap Carthage, et y débarqua, sans difficultés, ses troupes et son matériel.
Sinan-Pacha commandait l’expédition, et Euldj-Ali la flotte; peu après, le khalife d’Alger, Arab-Ahmed, arriva par mer avec un corps de troupes important.

Les Espagnols avaient organisé la défense de la manière suivante : P. de Porto-Carrero commandait le fort de la Goulette, avec quatre compagnies de troupes espagnoles et cinq d’Italiens dont le contingent qui a été à Bizerte. Le fort et l’îlot de Chekli furent confiés au Don J. de Zamoguerra.
Enfin, 2,000 hommes, Espagnols et Italiens, étaient dans la forteresse de Bab Bhar, sous le commandement de Serbelloni ; le reste fut réparti dans la ville et les avant-postes. Les malades et toutes les bouches inutiles avaient été rigoureusement renvoyés au préalable.

Moulay Mohamed se tenait à portée, attendant des contingents d’auxiliaires qui ne semblaient pas très décidés à venir.

Aussitôt après son débarquement, Sinan Pacha, s’étant mis en rapport avec le caïd Haïder, de Kairouan, le chargea d’attaquer Tunis par les faubourgs, ce qu’il fit à la tête de 4,000 Turcs et, dès le 17 juilet, les Espagnols étaient réduits à évacuer tous les postes avancés pour se retrancher dans la forteresse.
Cette retraite s’effectua en bon ordre. Pendant ce temps, le pacha d’Alger attaquait le fort de la Goulette, du côté de Carthage et, le 17, la tranchée était ouverte.
Le 21, il commençait également le feu depuis le rivage de Radès. Bientôt les murailles se trouvèrent fortement endommagées et les assiégeants arrivèrent jusqu’au pied des remparts, ce qui poussa Carrero à demander des renforts au commandant en chef (1er août).
Mais Serbelloni avait lui-même fort à faire pour réparer ses brèches et repousser l’ennemi par des sorties incessantes dont le nombre alla jusqu’à sept dans le même jour. Cependant il put, en dégarnissant le fort de Chekli, et avec le secours de volontaires, envoyer quelques renforts à la Goulette. Les assiégeants voulurent alors empêcher les communications entre ces trois forts par l’étang et, à cet effet, s’en approchèrent au moyen d’un ouvrage en terra et y lancèrent des bateaux plats.

Cependant des troupes turques étant encore arrivées d’Alger, accompagnées d’auxiliaires arabes, les attaques contre la forteresse de Bab Bhar redoublèrent d’énergie. En même temps, Serbelloni recevait une nouvelle demande de renforts de Carrero, plus pressants que la première, car elle semblait laisser entrevoir un découragement complet. La situation était fort grave: néanmoins, le gouverneur, qui avait offert d’aller lui-même prendre le commandement de la Goulette, parvint à y envoyer du monde en dégarnissant ses propres remparts. Il était temps ; le lendemain 20, les Turcs livrèrent un assaut furieux qui fut repoussé par Carrero, mais au prix de pertes très sérieuses.
Le 22, ils recommencèrent, et, le 23, se rendirent maîtres du fort de la Goulette. Presque toute la garnison fut massacrée, à l’exception de deux ou trois cents hommes, parmi lesquels Carrero, réduits en esclavage. Les assiégeants purent alors reporter tous leurs efforts contre la ville.

Serbelloni ne possédait plus guère que 1,200 soldats valides, et ls hommes d’Euldj-Ali avaient établis son camp sous la ville et ouvraient, contre la forteresse, le feu de puissants canons, tout en poussant la sape jusque sous ses murs et couronnant leurs tranchées de bons arquebusiers qui tiraient à courte distance sur quiconque paraissait.
Forcés de tenir tête à tant d’attaques diverses, les Espagnols perdaient chaque jour une quarantaine d’hommes : malgré cela, leur courage ne faiblissait pas, car on attendait à toute heure des secours réclamés instamment au roi de Sicile.

Le 6 septembre, les Turcs tentèrent un assaut général et firent sauter par la mine un des bastions, qui s’écroula en entraînant dans le même sort chrétiens et musulmans. Après une lutte acharnée durant depuis le matin, les Turcs se retirèrent vers midi, en abandonnant de nombreux morts et même leurs échelles.

Le 8, les mêmes faits se renouvelèrent ; les Espagnols restaient les maîtres, mais chacune de ces deux journées leur avait coûté 150 hommes et à peine restait-il dans le fort 600 combattants ; les murs n’existaient plus et les chrétiens étaient obligés de courir d’un endroit à un autre, selon que les points étaient plus ou moins menacés. Cependant le 11, une attaque générale fut encore repoussée.

Le 13, les assiégeants, ayant fait une nouvelle mine, se précipitèrent à l’assaut ; mais Serbelloni, à la tête de quelques soldats espagnols et italiens, les repoussa. Tout à coup, on crie que les Turcs pénètrent par une autre brèche ; il y court presque seul et est fait prisonnier.
Cette fois la forteresse était prise et lu défense avait épuisé absolument tous les moyens en son pouvoir. Il est probable que, si Carrero avait déployé une énergie égale à celle de Serbelloni, la Goulette, dont les fortifications étaient autrement sérieuses que celles de Bab Bhar, n’aurait pas si promptement succombé.
Zamoguerra, qui tenait encore dans le fort de Saint-Jacques (Chekli), avec une cinquantaine de soldats, se décida alors à capituler et fut envoyé en Orient avec Serbelloni.

Les Turcs étaient bien définitivement maîtres de Tunis, mais à quel prix leur victoire avait-elle été achetée : Néanmoins lorsque la nouvelle de ce succès parvint en Orient et qu’on vit débarquer les nombreux canons, le matériel considérable et les captifs des Turcs, parmi lesquels le Hafside Moulay Mohamed et le gouverneur Serbelloni, la métropole de l’Orient retentit d’acclamations enthousiastes et l’on oublia les défaites passées et les pertes actuelles.

Au milieu de ce désastre, le comte de Serbelloni fut épargné. Les vainqueurs espéraient en tirer une très forte rançon, et c'est cette considération, sans doute, qui les porta à lui laisser la vie.
La cour de Rome fut la première à le réclamer. Elle offrit de l’échanger contre plusieurs musulmans, détenus au château Saint-Ange, et parmi lesquels se trouvait le fils du pacha Ali, fait prisonnier à la bataille de Lépante.
Au rapport d'un historien tunisien, Hadj Hossein Khodja, les pertes éprouvées par les Espagnols, dans ces différentes affaires, ne dépassèrent pas de beaucoup celles de leurs adversaires. On compta de chaque côté à peu près dix mille morts. Le chiffre diffère énormément de celui qu'ont adopté les historiens espagnols. A les en croire, les Turcs auraient perdu 32,000 hommes.

L'Espagne, préoccupée par son empire d'Amérique, ne chercha pas à tirer vengeance de ce terrible échec. Ses flottes firent bien, de temps à autre, quelques apparitions sur les côtes de Tunisie; elles incendièrent quelques bourgades, coulèrent aussi, parfois, de misérables navires ; mais ces agressions insignifiantes n'empêchèrent point les Turcs de jouir en paix de leur conquête.

FIN.

lundi 10 août 2009

79- La Conquête de Tunis par les Turcs (7ème partie)

En 1551, Charles V résolut de mettre un terme aux déprédations de ce forban, qui avait réussi à se créer une sorte de royauté maritime sur le littoral tunisien. Une expédition importante fut envoyée à cet effet contre la ville de Mahdia, sous les ordres de Don Juan de Vega, vice-roi de Sicile, qui emmena avec lui l'infortuné Moulay Hassan, dont il comptait utiliser l'influence pour assurer le succès de l'entreprise. A la nouvelle du débarquement des Espagnols, Dargouth, qui était en ce moment à la mer, revint en toute hâte pour s'opposer aux assaillants ; mais il fut forcé de reprendre le large et d'abandonner la défense de la ville au seul courage de ses habitants.
Le 10 septembre 1551, après un terrible assaut, la place capitula. Douze cents Musulmans perdirent la vie pendant la durée de ce siège, et neuf mille furent réduits en esclavage.

Après avoir laissé son fils, Don Alvar, comme gouverneur de Mahdia, avec 1500 hommes de bonnes troupes et de grands approvisionnements, don Juan de Vega, rentra avec sa flotte en Sicile.
Don Alvar ne resta pas longtemps en possession du gouvernement de cette place ; l'argent lui ayant manqué pour payer les troupes de la garnison, celles-ci se révoltèrent et se donnèrent pour chef un certain Antonio Aponti, qui parvint, à l'aide de quelques razzias heureuses, opérées sur les tribus des environs, à faire vivre ses hommes jusqu'au moment ou le vice-roi de Sicile les fit rentrer dans l'obéissance.
En 1553, Charles-Quint résolut d'abandonner Mahdia, dont l'occupation lui semblait trop onéreuse. Il chargea don Fernand d'Acuna d'en détruire toutes les fortifications et de ramener la garnison en Espagne.

En 1560, Philippe II conçut le dessein de s’emparer de Tripoli. Dans ce but, il confia 14,000 soldats à don Duan de la Cerda, duc de Medina-Coeli, vice-roi de Sicile, et s'en remit à son zèle et à son expérience le soin de diriger les opérations (1560).
La Cerda embarqua ses troupes sur 113 navires, et se dirigea vers l'île de Djerba, qui se rendit première sommation. C'était un heureux début ; mais, pour qu'il portât des fruits, il fallait qu'on marchât sans délai sur Tripoli, alors au pouvoir de Dargouth.
Par malheur, il n'en fut pas ainsi : le mauvais temps, l'extrême agitation de la mer, obligèrent le chef de l'expédition à rester plusieurs semaines au mouillage de l'île. Dargouth profita fort habilement de ce répit pour informer le Grand-Seigneur des dangers qui menaçaient les possessions turques en Afrique.

Comme l'avis était pressant, le Divan envoya bientôt de Constantinople cent soixante galères et navires portant quarante mille soldats, et lui prescrivit de faire toute la diligence possible, pour surprendre la flotte espagnole à son ancrage de l’île de Djerba. Au risque de briser ses mâtures, Sinan-Pacha se couvrit de voiles, et fondit à l'improviste sur la masse compacte des bâtiments de MedinaCoeli, qui eurent peine le temps d'appareiller, pour échapper à une destruction inévitable. L'attaque fut si brusque, que 19 galères et 14 transports furent enlevés, avant d'avoir pu couper leurs amarres.

Indépendamment de cette perte matérielle, 5,000 Espagnols furent jetés dans les fers. Après ce grand désastre, le duc de Medina-Coeli réunît quelques-uns de ses vaisseaux et rentra en Europe, laissant don Alvar de Sande le soin de défendre la forteresse de l'île de Djerba, ou il se trouvait enfermé avec une poignée de soldats.

Après avoir enduré, pendant plusieurs semaines, les plus cruelles privations, le contingent se décida de se jeter en désespérés sur les lignes ennemies, de les percer et de profiter de la confusion et de la surprise que leur attaque allait causer dans les rangs, pour gagner précipitamment le rivage et s'emparer des premiers bâtiments qui leur tomberaient sous la main. Au jour dit, ils sortent de leurs retranchements, fondent sur l'armée turque, et essaient de se faire jour à travers les épais bataillons. les Turcs se rallient, enveloppent la petite poignée d'espagnols et les abattent à coups de cimeterre.
Pour constater leur victoire et la rappeler aux générations futures, les Turcs avaient élevé, sir le théâtre même de leur exploit, une pyramide entièrement composée de crânes et d'ossements ennemis qui ne fut enlevée qu’en 1846 suite au souhait exprimé au Bey par le Consul Général de France et le préfet apostolique à Tunis.

Resté définitivement maître de l’autorité à Tunis, Hamed afficha sa sympathie pour les Turcs et sa haine contre les chrétiens. Chose curieuse, la petite troupe de mercenaires espagnols qui avait été laissée à son père par Charles V devint son plus solide appui, grâce au dévouement de son chef Juan, qui avait pris les mœurs et le costume musulmans. Cet homme fut le véritable maître à Tunis et y exerça sur tous une sanguinaire tyrannie.
Hamed forma aussi un corps de trois mille cavaliers appelés les Zemasnïa, bien armés et bien montés, qu’il employa surtout à combattre les arabes rebelles, particulièrement les Ouled Saïd ; qui on été toujours traités comme de simples infidèles en raisons de leurs multiples traitrises envers les monarques de ce pays.

Le nouveau roi Hafside, Moulay Hamed, eut lui aussi beaucoup de mal à s’imposer. Il faisait régulièrement appel au sultan de Constantinople, en même temps qu'il signait des trêves, voire des traités avec les Espagnols. Cette versatilité du pouvoir hafside, qui tantôt s’en remettait aux Espagnols et tantôt pactisait avec les Turcs, s’expliquait par sa faiblesse face à deux empires si puissants.

Au mois de mars 1568, Euldj-Ali a été nommé Maître d’Alger et à peine que le nouveau Beylarbeg vint prendre possession de son poste il se décida de conquérir le Royaume des Hafsides.

Comme son surnom l’indique, Euldj-Ali était un renégat, originaire de l’Italie méridionale. Pris fort jeune par les musulmans et qui avait ramé longtemps dans les chiourmes, refusant obstinément d’abandonner sa religion ; il avait reçu pendant cette partie de son existence le surnom d’El-Fartas (le teigneux ou le chauve) par les arabes et Uchali Fartax (le renégat teigneux) pour les Chrétiens.
Euldj-Ali désespérant d’obtenir sa liberté, il avait fi ni par abjurer le christianisme, comme tant d’autres à cette époque, et pris le nom d’Ali.
Son énergie et son intelligence lui avaient bientôt fait obtenir le commandement d’un navire et il était devenu un des meilleurs lieutenants d’Hassan, fils de Khaireddine, et de Dragut.

Donc en raison de la fragilité du pouvoir Hafside, le maître d’Alger, Euldj Ali, se tourna alors vers la Tunisie où régnait, sans aucune gloire, Moulay Hamed, qui était en état d’hostilité ouverte avec les Espagnols de la Goulette et en guerre contre ses sujets, particulièrement les Ouled Saïd et les Chabbïa.
La croisade que les puissances chrétiennes préparaient contre le Turc était connue de tous ; le Beylarbeg savait qu’il était appelé à jouer un grand rôle dans le duel maritime dont la Méditerranée allait être le théâtre et il jugeait nécessaire que Tunis fût en sa possession.

En octobre 1569, il se mit en marche vers l’est, à la tête de 5,000 mousquetaires réguliers, et s’adjoignit en chemin les contingents des Kabyles, les goums des Amraoua et ceux des Garfa et autres tribus de la province de Constantine.
A l’annonce de son approche, Moulay Hamed était sorti de Tunis, mais il n’avait avec lui que ses spahis, appelée Zemasnïa, au nombre de 3,000, plus 1,600 Arabes nomades. La rencontre eut lieu près de Béja et l’armée turque triompha sans difficulté des Tunisiens qui furent poussés, jusqu’à la Medjerda.
Cette rivière, étant débordée, arrêta un instant l’armée d’Euldj-Ali ; cependant il parvint à la franchir et, s’étant mis sur les traces du prince hafside, lui infligea une nouvelle défaite près de Sidi Ali el-Hattab.

Moulay Hamed rentra alors à Tunis ; mais, jugeant toute résistance inutile, il réunit sa famille et les valeurs qu’il put emporter et partit dans la direction de Radès. De là il put traverser le lac dans un endroit où la profondeur de l’eau était moindre et se réfugier chez les Espagnols du fort de Chekli. Après l’avoir reconnu, ceux-ci lui ouvrirent la porte et le recueillirent. Le Gouverneur espagnol de la Goulette Don Pedro Carrero le prit sous sa protection

Euldj-Ali ne tarda pas à paraître ; il entra à Tunis sans coup férir, accueillit la soumission des Zemasnia et s’appliqua activement à rétablir la paix. Après un séjour de quatre mois dans sa nouvelle conquête, il reprit la route d’Alger, laissant Tunis sous le commandement de son caïd, Ramdhane, avec un millier de Turcs, autant de Zouaoua et les forces de son prédécesseur (fin 1569).

Quant à Hamed, il passa en Espagne et s efforça de justifier auprès de Philippe II, sa conduite antérieure, le suppliant de lui fournir le moyen de remonter Sur le trône.

A suivre ...

jeudi 6 août 2009

78- La Conquête de Tunis par les Turcs (6ème partie)

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Une année après, Moulay Hassan est arrivé à soumettre Bizerte, et il est allé lui-même superviser le démantèlement de ses remparts (fin 1535).
En 1536, la situation fut loin de s’améliorer, si l’on en juge par les instances de Moulay Hassan auprès de l’empereur, à l’effet d’obtenir des troupes régulières qui lui auraient permis de chasser les quelques Turcs restés dans le pays et leurs partisans, de réduire à la soumission les Chabbïa qui gouvernaient Kairouan et enfin de soumettre les villes dissidentes.

Si ces renforts ne pouvaient lui être donnés, le roi de Tunis déclarait que sa situation n’était plus tenable et demandait à être transporté en Espagne. Mendoza (le Capitaine du fort de la Goulette), de son côté, priait qu’on lui confiât des navires et 1,500 hommes avec lesquels il se faisait fort de se rendre maître de Mahdia.
Il confirmait que la position de Moulay Hassan était impossible à Tunis.

En 1537, la ville de Kairouan vit surgir un fanatique du nom de Sidi Arfa chef de la confrérie "Chabbia", dont les prétentions à la souveraineté furent bientôt appuyées par un parti considérable. Son objectif n'était pas seulement de combattre "le traître" mais de le détrôner, de mettre fin par conséquent à la dynastie hafside mais aussi de chasser les Espagnols et les Turco-ottomans.
Moulay Hassan recourut encore une fois à l'appui de Charles V; et, le vice-roi de Sicile, sur l'injonction de l'empereur, envoya des hommes et des vaisseaux contre Soussa, pour la réduire à l'obéissance. Avec ce renfort, le roi Hafside marcha par terre pour seconder le débarquement. Mais cette double opération se termina par un pitoyable échec.

Deux ans après cette expédition malheureuse, et en 1539, André Doria s'en vengea avec éclat. Kélibia, Soussa, Monastir et Sfax, même, furent replacés sous l'autorité de Moulay Hassan et des gouverneurs hafsides y furent placés. Monastir reçut même en garnison un régiment espagnol.

Kairouan restait en état de révolte et Moulay Hassan brûlait de se venger des humiliations éprouvées par lui sous ses murs. Vers 1540, il emmena la garnison espagnole de Monastir et, l’ayant adjointe à ses contingents, vint prendre position à Batn-el-Karn, non loin de la ville sainte d’Okba. Il y était à peine installé que les gens de Kairouan, qui avaient déjà travaillé ses adhérents, opérèrent une grande sortie pendant la nuit et surprirent son camp. Abandonné par les Arabes, Moulay Hassan dut s’ouvrir un passage à la pointe de son épée et, grâce au courage des soldats espagnols, parvint à rentrer à Tunis, en laissant tous ses bagages aux mains des rebelles.

Monastir, Soussa, Sfax et Kelibia se lancèrent de nouveau dans la révolte et acceptèrent la protection du corsaire Dargouth Pacha (Dragut-Pacha) qui avait pour quartier général El Mahdia et dont l’audace et les succès portaient sa renommée jusque sous les murs de Tunis et rendaient de plus en plus illusoire l’autorité de Moulay Hassan.
L'année suivante, Doria reparut devant Monastir et réduisit cette place. Soussa chassa les Turcs et se replaça sous l'autorité de Moulay Hassan.

En 1542, Moulay Hassan, reconnaissant tout ce que sa situation avait de périlleux et de précaire, résolut d'aller en personne solliciter, une fois de plus, le secours des chrétiens. Il décida à se transporter en Italie, pour, de là, porter ses doléances à l’empereur, alors à Augsbourg ; mais, comme il n’avait confiance en personne parmi ses coreligionnaires, il déposa, en partant, son trésor et ses pierreries à la Goulette et les confia au gouverneur espagnol, Don Francisco de Tavar ; de plus, il chargea un navire de marchandises de toutes sortes qu’il devait vendre en Italie.

Le parti était grave, car il s'agissait de quitter ses états, dans un moment où son autorité était menacée par les factions. Toutefois, il n'hésita pas, et laissa aux mains de son fils Moulay Hamed, la direction des affaires.
Mais, à peine était-il arrivé en Europe, d’où, sans perdre de temps, il avait déjà envoyé des armes et des munitions, qu’il reçut du commandant de la Goulette les nouvelles les plus alarmantes : son fils Hamed Soltan, aidé par le cheikh de Bab el-Djazira, Omar el-Djebali, s’était emparé de l’autorité et s’est fait proclamé roi à sa place et que son entreprise avait réussi, malgré la vive opposition de la garnison de la Goulette, commandée par don Francisco de Tobar.

Aussitôt, Moulay Hassan pressa ses enrôlements et ne tarda pas à revenir à la tête d’environ 2,000 aventuriers recrutés dans le midi de l’Italie, et commandés par le Napolitain Lofredo. Mais son fils s’était préparé à la résistance ; grâce à la surexcitation du fanatisme irrité des complaisances du sultan pour les chrétiens et de la subordination qu’il avait acceptée, il avait réuni des forces considérables qui avaient pris position en avant de la ville, entre Kherbet el-Kelekh et Sanïat-el-Annab.

Aussitôt, Moulay Hassan retourna à Tunis, pour disputer le pouvoir à son fils. A son arrivée, le gouverneur de la Goulette, appréciant mieux que lui toutes les difficultés de l’entreprise, lui conseilla de ne point tenter la fortune avec des troupes indisciplinées et sur la fidélité des quelles il ne devait point compter. Ce conseil, dicté par la prudence, ne fut point écouté.

Moulay Hassan s’avança bravement contre l’ennemi ; mais ses soldats ne tinrent pas et se trouvèrent bientôt en déroute : 500 d’entre eux furent recueillis par les Espagnols de la Goulette et tous les autres, y compris leur chef Lofredo, périrent par le fer des musulmans.
Quant à Moulay Hassan, il tomba, en fuyant, dans un bourbier d’où on le retira non sans peine. Revêtu d’un burnous qui cachait la fange dont il était couvert, il fut conduit devant son fils.

Après l’avoir accablé de reproches, Hamed Soltan consulta ses amis sur le traitement qui devait lui être infligé et le résultat fut de le mettre en demeure de choisir entre la réclusion perpétuelle ou la perte de la vue. Le malheureux prince ayant opté pour ce dernier parti eut les yeux crevés par l’ordre de son fils, qui lui laissa alors une certaine liberté, le sachant tellement déconsidéré qu’il n’était plus dangereux. Plus tard, le vieux roi parvint à s’échapper et chercha un refuge chez les chrétiens. Il accusa ensuite don F. de Tavar de lui avoir pris toutes ses richesses, ainsi qu’il résulte d’une curieuse déclaration conservée aux archives de Simancas.

A la nouvelle de ces événements, 1500 hommes, tirés de l'armée de Naples et conduits par don Alonzo de Bivas, arrivèrent à la Goulette, pour aider le gouverneur de cette place à renverser l'usurpateur. Ils ne tardèrent pas, en effet, le chasser du trône et à le remplacer par son oncle, Moulay Abd el-Malek, homme digne de tous les respects. Par malheur, ce prince mourut trente-six jours après son élévation et l'on dut procéder à un nouveau choix. On lui donna pour successeur son fils, Moulay Mohamed.

Moulay Hamed ne resta point inactif pendant ces temps de troubles. La guerre civile qui déchirait le pays servait merveilleusement son ambition, et il la mit à profit pour se former un parti puissant, à l'aide duquel il fut assez heureux pour s'emparer de Monastir avec le concours de Dargouth. Enhardi par ce premier succès, il se porta aussitôt sur Tunis, d'ou le jeune Moulay Mohamed, surpris par cette marche rapide, s'enfuit à la Goulette, chercher un refuge auprès des Espagnols, abandonnant le pouvoir son cousin.

Dragut, (Darghout) le corsaire, profita, à son tour, de ces révolutions pour faire rentrer dans son obéissance les villes que Doria lui avait enlevées, en 1540. Il fût de Mahdia ou Africa le centre de ses opérations, et étendit son autorité sur l'île de Djerba.

A suivre ...

mardi 4 août 2009

77- La Conquête de Tunis par les Turcs (5ème partie)

Moulay Hassan fut rétabli sur le trône comme vassal et tributaire de l'Espagne. Charles-Quint garda pour lui plusieurs places maritimes, notamment La Goulette qu'il dota d'une forteresse dont une grande partie des pierres déjà taillées, furent récupérés des aqueducs romains, qu’ils firent sauter.

L’empereur rendit à la liberté dix mille esclaves chrétiens (certains historiens disent vingt mille, d'autres vingt-cinq mille) et il rentra triomphant à Naples avec une armée gorgée de butin et de richesses.

Le 6 août 1545, Moulay Hassan et Charles-Quint avaient signé un pacte d'alliance où il était stipulé :
- La mise en liberté, sans rançon, de tous les esclaves chrétiens ainsi que la garantie de leur libre circulation.
- La faculté pour les Européens de se livrer aux opérations commerciales, de s'établir à Tunis, d’avoir leur liberté de culte et d'y construire des églises et faire sonner leurs cloches. Seul un juge désigné par l’empereur pouvait connaître les causes, juger et châtier ses sujets délinquants
- Le roi de Tunis devait refuser d’accueillir les Morisques de Grenade, de Valence, d’Aragon ou d’autres lieux appartenant à l'empereur, et il devait les expulser.
- L'engagement de ne point favoriser la course, soit en fournissant des vivres et des munitions aux corsaires, soit en les recevant dans les ports du royaume.

- La Remise à sa Majesté la ville d’Africa (Mahdia)

- Le remboursement des frais de l’expédition et le paiement d'un tribut annuel de 12,000 écus d'or, pour subvenir l'entretien de la garnison de ce port ; et, s’il ne remettait pas cette somme, le capitaine général pouvait la prélever sur les rentes du royaume.

- La concession perpétuelle à l'Espagne de la pêche du corail, dans les eaux de Tunis;
- En reconnaissance à toujours de sa vassalité, le roi de Tunis et ses successeurs devaient également remettre tous les ans, un impôt consistant en 6 chevaux et 12 faucons, sous peine de 50.000 ducats d’or la première fois qu’ils ne le feraient pas, 100.000 la deuxième et la troisième fois ils se verraient privés du royaume.
Aussi ;
- Le roi de Tunis remettait à l’empereur et à ses successeurs aux royaumes espagnols les droits qu’il avait sur les villes de Bône, Bizerte, et autres forteresses maritimes que Barberousse avait usurpées, afin de pouvoir expulser tous les corsaires qui s'y trouveraient.

- Le roi de Tunis cédait à l’empereur et aux rois de Castille La Goulette et les terres situées une demi-lieue alentour, à condition que les Espagnols du préside n’empêchent pas les habitants de Carthage de prendre de l'eau des puits situés près de la Tour de l’Eau.

- Le roi de Tunis devait laisser aux chrétiens de La Goulette, désignés par le capitaine du fort, toute liberté de commercer dans tout le royaume. Le roi recevrait les taxes sur l’achat-vente des marchandises (alcabalas), mais s’il y avait délit, seul le capitaine du fort avait autorité sur eux et pouvait les châtier.

- Le roi de Tunis et ses vassaux ne feraient aucune alliance et ne signeraient aucun accord avec un prince maure ou chrétien qui pourrait porter préjudice à l'empereur ou aux rois d'Espagne ses successeurs, et réciproquement. L’empereur et le roi de Tunis s’engageaient en leur nom et en celui de leurs successeurs à entretenir des liens d'amitié et de bon voisinage, de respect réciproque dans la liberté de commerce des uns et des autres sur mer comme sur terre.

De son côté Moulay Hassan à demandé :
- 4,000 escopettes avec de la poudre ;
- Quelques pièces d’artillerie, de celles qui ont été prises dans la forteresse de la Goulette, avec des munitions ;
- Quelques galères, dont il a un grand besoin, et qu’il fera armer.

Ainsi que sa Majesté devra promettre :
- Que les nouvelles fortifications de la Goulette n’apporteront aucun empêchement au commerce, et que les soldats qui tiendront garnison dans la forteresse n’essaieront pas de pénétrer dans le pays. Toutes les fois qu’ils voudront venir à Tunis, ils devront être munis d’un sauf-conduit du roi.
- Pour la sûreté personnelle de Moulay Hassan, il sera également permis aux Rabatins de tenir garnison provisoirement dans la Kasbah.

L'Espagne, en échange de ces engagements, promettait sa protection envers et contre tous.

Au lendemain de la prise de Tunis par Charles-Quint et de la restauration de la monarchie Hafside, Moulay Hassan ne contrôlait que Tunis. Et encore, n’ayant pu éviter le sac de la ville par les troupes impériales, et ayant fait appel au chrétiens pour le remettre sur le trône il était haï de ses sujets. L’arrière-pays et tout le sud tunisien, dont Kairouan, bastion de l’Islam, lui échappaient.

Ce traité conclu, l'Empereur quitta Tunis après avoir laissé dans la Casbah une garnison de 200 hommes, qui devaient y rester à la disposition de Moulay Hassan, jusqu'à la complète pacification du pays. Il se dirigea ensuite sur la Goulette, en passant par Radès, où il s'arrêta pour attendre que toute sa cavalerie et le matériel de l'armée fussent rembarqués à bord de la flotte. Cette opération terminée, il se rendit dans son ancien camp de Carthage, où il resta jusqu'au moment de son embarquement.

Avant de reprendre la mer, l'empereur ordonna qu'il fût immédiatement procédé à la construction d'une forte citadelle à la Goulette. A cet effet, des matériaux de toutes sortes furent commandés en Sicile; et, pour assurer la défense de la place, on y laissa un corps de 1000 hommes, sous les ordres de Don Bernardin de Mendoza. Indépendamment de ce corps, une division navale de 12 galères, aux ordres d'Antoine Doria, dut également y stationner.

L'empereur, s'étant embarqué, prescrivit à l'escadre espagnole de regagner ses ports d'armement, et il se dirigea lui-même, avec le reste de sa flotte, sur Mahdia (Africa), dont il voulait s'emparer ; mais le mauvais temps l'ayant forcé d'ajourner cette expédition, il regagna, à son tour, la Sicile et aborda à Trapani. Il profita de son séjour dans ce port pour diriger sur Mahdia 5,000 hommes de troupes de débarquement; mais, cette fois encore, les vents et le mauvais état de la mer vinrent déjouer les projets de Charles V.

A suivre ...

jeudi 30 juillet 2009

76- La Conquête de Tunis par les Turcs (4ème partie)

De l'autre côté du canal, des travaux furent également entrepris. Quand tout fut à peu près terminé, un pont jeté sur le canal relia les deux parties de la Goulette, et assura les communications réciproques.
Pour ajouter à ces ressources, on utilisa les batteries de quelques galères tirées à terre, et l'on ménagea à d'autres navires, mouillés dans le lac même, le moyen d'ouvrir leur feu sur l'ennemi, de quelque côté qu'il attaquât les retranchements.

Pour défendre ceux-ci, Khaireddine disposait de 4,000 turcs, de 1,000 janissaires et de 2,000 tunisiens. Il en confia le commandement supérieur à deux de ses lieutenants: Sinan, le Juif, et Ali, surnommé Caccia Diavolo, ou Chasse-Diable.
Quant aux vivres destinés la nourriture de tout ce monde, on devait les tirer de Tunis; et un service de barques, sans cesse allant et venant de la Goulette, pourvoirait a ces indispensables besoins.

Après avoir utilisé les bras de la population, Barberousse songea à en utiliser les passions. La guerre sainte fut proclamée. Les Imams prêchèrent partout la haine du nom chrétien; et de nombreux agents parcoururent les campagnes, pour exciter les fanatiques et réchauffer le zèle des indifférents. Ce fut dans ces dispositions que Barberousse attendit les forces menaçantes de Charles V.

Les préparatifs ordonnés dans les divers arsenaux étant terminés, Charles-Quint quitta Barcelone le 31 mai 1535, avec sa propre division, et celles fournies par les Flandres, le Portugal et Gênes. Elles se renforcèrent à Cagliari, où l'empereur arriva quelques jours après, des armements de Malte et d'Italie. Toute la flotte comptait 400 voiles dont 90 galères. L'armée se composait de 26,500 hommes, dont voici le dénombrement :

FLOTTE.
- Division d'Espagne, de Gênes et de Flandres : 54 galères, 70 gros navires, 54 bricks, sous les ordres d'André Doria.
- Division de Portugal : 27 navires, sous les ordres d'Antoine de Saldanha.
- Division d'Italie et de Malte : 36 galères, 28 gros navires, sous les ordres d'Alvar Bazan.
Plus les transports.

ARMEE DE TERRE.
INFANTERIE
- Division Espagnole ; vieilles troupes venues d'Italie : 4,000 hommes, sous les ordres du général Marquis de Guast.
- Division Espagnole, nouvelles levées : 8,000 hommes, sous les ordres du duc d'Albe.
- Division Allemande : 7,000 hommes, sous les ordres de Maximilien Piedra Buena.
- Division Italienne : 4,000 hommes, sous les ordres du prince de Salerne.
- Division Portugaise : 2,000 hommes, sous les ordres de l'Infant Louis de Portugal.

CAVALERIE
- Volontaires nobles de toutes nations : 1,000 hommes, sous les ordres du marquis de Mondejar.
- Cavalerie Espagnole : 500 hommes, sous les ordres du marquis de Mondejar.

Partie de Cagliari, la flotte se présenta sur la rade de Tunis dans la deuxième quinzaine de juin. On avait devant soi la terre ou fut Carthage, la place ou Saint Louis avait débarqué trois siècles auparavant. Les hommes de Charles-Quint; ne voyaient, qu'une côte aride et déserte, brûlée par le feu d'un soleil dévorant et semée de ruines gigantesques, ne se rattachant par aucun lien avec le passe; tout au plus savaient-ils qu'une armée de chrétiens était descendue autrefois sur cette terre pour y planter la croix qu'eux mêmes allaient essayer d'y fixer !

On débarqua sans éprouver de résistance de la part des Arabes ; et, de suite, on s'occupa des préparatifs de l'attaque. Après plusieurs chaudes affaires, ou de part et d'autre on fit des pertes assez sérieuses, et les travaux du siège étant d'ailleurs achevés, le feu fut ouvert le 14 juillet 1535 sur Halk el Oued, la Goulette qui, le même jour, tomba au pouvoir des Espagnols. Quatre-vingt-sept navires et trois cents canons tombèrent au pouvoir des vainqueurs.
La garnison turque l'évacua et se replia sur Tunis, en gagnant la ville par le lac, non sans perdre beaucoup de monde pendant toute la durée du trajet.

A la nouvelle du débarquement de Charles V, Moulay Hassan était accouru auprès de lui assez confus de n'être accompagné que de 150 cavaliers, au lieu du nombreux contingent qu'il s'était engagé à lui fournir. Néanmoins, l'Empereur le rassura généreusement, et lui promit de nouveau de le rétablir avant peu sur son trône.

La Goulette prise, l'ordre de se porter sur Tunis fut donné ; et, le 17 juillet, l'armée se mit en marche, en longeant la rive droite du lac.
Barberousse, à la tête de 9,000 homes de vieilles troupes, vint à la rencontre de l'Empereur à une lieue et demie environ de la ville, les deux armées se trouvèrent en présence et en vinrent aux mains : mais les troupes tunisiennes, composées de Turcs et d'indigènes, ne purent soutenir le premier choc des chrétiens, et furent tout aussitôt culbutées. En même temps que cette action s'engageait, presqu'en vue des remparts de la ville, les esclaves chrétiens brisaient les portes de leur prison, et se rendaient maîtres de la Kasbah.

Du haut de ses murailles, ils annoncèrent leurs succès à l'armée espagnole. Cette circonstance influa grandement sur l'issue de l'entreprise. Privée de sa défense principale, Tunis fut obligée de capituler.
Pendant la nuit, les Turcs campèrent encore sous les murs de la ville ; mais le lendemain Khaireddine, que ces échecs successifs avait découragé, se retira avec les débris de son armée, dans l'intérieur des terres, d'ou il gagna Alger abandonnant dans la Casbah de son éphémère capitale ses trésors et ses femmes.

L'empereur fut reçu à son entrée dans la ville par les différentes autorités, qui vinrent jusqu'en dehors des portes, pour lui-en offrir les clefs. Malgré cet acte de condescendance respectueuse, Tunis fut livrée au pillage, et ce pillage dura trois jours et engendra un carnage qui laissa 70,000 morts !

D'après les différents récits, sources, chroniques et historiens «le pillage aurait été autorisé pendant trois jours, mais le butin fut peu important, et les troupes frustrées auraient de ce fait assouvi leur vengeance en massacrant une partie des habitants sans égard pour le sexe ni l'âge ».
D'après l'historien tunisien Abdulwahab, Tunis comptait à cette date 180.000 âmes. Le tiers a été fait prisonnier; le tiers s'enfuit dans les parages de Zaghouan et le reste fut massacré. Les odeurs des cadavres décomposés par la chaleur incommodèrent le roi qui fut obligé de quitter Tunis le 27 juillet pour séjourner à Radès
Parallèlement à «ce carnage», «cette tuerie odieuse», «ces rapines et orgues», «ce massacre», les mosquées furent démolies et les bibliothèques incendiées. La profanation de la Grande Mosquée Zitouna et le viol de la sépulture du marabout Sidi Mahrez patron de la ville de Tunis furent évoqués avec forte émotion par les différents chroniqueurs et historiens et fut même interprété comme un acte «barbare».
Le chroniqueur Paolo Giovio qui avait accompagné le corps expéditionnaire décrit le désespoir de Moulay Hassan devant les livres arabes piétinés par les troupes espagnoles.

Signalons aussi d'autres toponymes portant encore l'empreinte de cette histoire mouvementée. Jusqu'à nos jours. L’une des portes de Tunis porte encore le nom de «Bab el Falla» (porte de la déroute ou puerta de la huida) qui rappelle la fuite des habitants de Tunis après sa prise vers Djebel Ressas et Djebel Zaghouan.

A suivre ...

jeudi 16 juillet 2009

75- La Conquête de Tunis par les Turcs (3ème partie)

Moulay Hassan, après avoir été chassé par Barberousse de ses états, errait depuis quelque temps au milieu des Arabes, qu'il excitait, à la révolution contre Khaireddine, en leur faisant un étalage pompeux de tous les biens dont il récompenserait leurs services s'ils arrivaient à le remonter sur le trône.
Il n'y a rien de si léger et de si inconstant que le peuple arabe ; ennemi de toute domination, il est toujours prêt à écouter celui qui flatte son amour pour l'indépendance ; n'ayant rien à perdre et tout à gagner dans une révolution, il est toujours prêt à s'armer en faveur du parti qui lui offre le plus d'avantages. Moulay Hassan n'eut pas de gêne à persuader plusieurs Cheikhs arabes, et ils commencèrent à se rassembler dans les plaines de Kairouan.

Khaireddine, en apprenant leurs mouvements, se contenta de leur écrire ces mots « Que celui d'entre vous qui reconnaît l'empire de notre souverain Seigneur et maître le sultan Souleiman, quitte au plus tôt l'armée des rebelles et vienne se réunir sous mes drapeaux ; car ceux qui ne profiterait pas de ce moment de clémence, et qui s'obstineront dans leur révolte, auront lieu de se repentir de leur témérité ».

En même temps Khaireddine assembla ses troupes et fit tous ses préparatifs pour aller dissiper cette armée d'Arabes, dont le nombre augmentait tous les jours. Lorsque, sous les ordres de Moulay Hassan, les arabes vinrent lui présenter le combat, il les mit sur le champ en déroute.
Etant un bon politique, Barberousse, il leur accorda même le pardon, il savait qu’il lui était très difficile de les poursuivre. Il leur expédia donc des lettres de grâce, et lorsqu'ils les eurent reçues, les principaux Cheiks se rendirent auprès de lui pour lui jurer foi et hommage.

II s'empara donc de Kairouan et des autres villes de la province, et régla partout la perception des impôts. Enfin il fit ouvrir par les 25 milles esclaves chrétiens que renfermait alors Tunis le canal de la Goulette, et créa un port où sa flotte fut parfaitement abritée. De ce jour, la Tunisie n'est plus qu'une province turque.


Mis encore une fois en déroute par l'usurpateur de son royaume, Moulay Hassan, s’enfuit vers Constantine, où il trouve un asile auprès du gouverneur de la province.
Dans son exil il se lia d'amitié avec un renégat génois nommé, Ximéa, qui voulant tirer profit de la situation, il lui conseilla de s'adresser à l'empereur Charles V, de réclamer son assistance et de lui offrir, en retour du service rendu, de se déclarer vassal de l'empire.
Moulay Hassan s'engageait, en outre, à seconder les opérations de l'armée impériale, avec un contingent d'Arabes qu'il se faisait fort d'amener sur la côte tunisienne, au moment de l'arrivée de l'Empereur.

Il lui écrivit la lettre suivante « … Barberousse, ce misérable Rais turc, né pour le malheur de la Barbarie, vient de s'emparer de mes états, et une des grandes raisons qui l'ont décidé à me persécuter, c'est l'attachement sincère que j'ai toujours eu pour toi; il est donc de ton honneur, et il y va de tes intérêts, Ô grand Roi ! de venir à mon secours et de me rendre l'héritage de mes pères.
Les forces que tu rassembleras sont plus que suffisantes pour me venger de Barberousse, et me replacer sur un trône qu’i1 m’a usurpé.
J’ai encore à mon service soixante mille hommes, avec lesquels j'irai l'assiéger par terre, tandis que tu viendras l'assiéger du côté de la mer.
Lorsque le Royaume de Tunis sera rentré sous mon obéissance, je t'en ferai l'hommage, et je me contenterai du titre de ton lieutenant. »

Charles-Quint avait été profondément irrité de l'heureux coup de main des Turcs et quand Moulay Hassan vint solliciter son assistance pour reconquérir la souveraineté et lui offrir, en retour du service rendu, de se déclarer son vassal, l'empereur accepta ces ouvertures avec empressement et associa à la conquête qu'il allait entreprendre l'Ordre de Malte, le Saint-Siège et le Portugal.

Des préparatifs considérables furent aussitôt commencés dans les arsenaux d'Espagne, de Gênes, de Naples et de Sicile ; les vaisseaux et les galères furent armés, et des approvisionnements de toutes sortes furent tenus prêts ; mais quelque profond que fût le secret dont on entoura les préparatifs, Barberousse en fut avisé. Au premier avis du danger, il demande du secours à Constantinople; mais le grand seigneur ne put lui en envoyer en raison de ses engagements militaires en Asie.
Barberousse ne se découragea point, et résolut de se défendre avec ses propres ressources.

Ayant reconnu que la ville de Tunis était incapable de résister à l'ennemi, si celui-ci parvenait à opérer un débarquement à la Goulette, il porta toute son attention sur ce point. Par ses ordres, de nouveaux travaux de défense furent ajoutés à ceux qu'il avait fait établir dans les premiers temps de la conquête.
Il les dirigea lui-même, et y employa tous les bras des esclaves chrétiens.

Laissant au mouillage de la Goulette douze de ses meilleures galères, il abrita le reste de sa flotte dans le petit canal qui joint le lac à la mer. Puis comme aucun ouvrage fortifié ne garantissait alors ce point avancé, véritable boulevard de la capitale, il fit élever, avec la plus grande célérité possible, une épaisse muraille, qui dût couper la langue de terre qui s'étend au nord-est du canal, dans la direction des ruines de Carthage, afin de mettre la Goulette à l'abri d'une attaque de ce côté.
Le temps ayant manqué pour achever convenablement ce grand travail, il fallut recourir à un expédient pour en tirer provisoirement un utile parti : on prit des avirons, des espars, tous les bois qui tombèrent sous la main. On les planta en terre, on les relia solidement entre eux; puis des milliers de sacs remplis de sable en assujettirent parfaitement le pied. A la base, on ménagea des embrasures pour y établir une batterie. Un fossé compléta ce premier système de défense.

A suivre ...

mardi 14 juillet 2009

74- La Conquête de Tunis par les Turcs (2ème partie)

La flotte se présenta d'abord devant Bizerte et y reçut le plus chaleureux accueil; les habitants offrirent même à l'amiral de se joindre à lui pour coopérer au succès de l'entreprise, mais Barberousse déclina leur proposition et se hâta de reprendre la mer, persuadé qu'en toutes circonstances la réussite d'un projet dépend toujours de la rapidité qu'on apporte à l'exécuter.

Le lendemain de son départ de Bizerte, Barberousse jetait l'ancre devant la Goulette. Les troupes de Barberousse se composent de 1800 janissaires, 6500 Grecs, Albanais et Turcs et 600 renégats, la plupart Espagnols. Quant à la flotte, elle était forte de 84 galères; mais, six sont retournées à Constantinople, dix autres ont été envoyées à Alger, quinze à Bône et quinze à Bizerte ; par ordre de Barberousse, dix-huit ont été aussi désarmées, de sorte que vingt seulement, avec sept grands navires amenés de l’île de Djerba par Sinan, tiennent la mer et croisent devant la Goulette.

Aussitôt, le bruit se répandit dans Tunis que le prince Rachid «le fils de la négresse» se trouvait à bord de l'escadre, et que, l'intention de la Porte Ottomane était de le rétablir sur le trône de son père, criminellement usurpé par Moulay Hassan. Ce bruit, habilement propagé par les agents de Barberousse, prit bientôt la consistance d'une nouvelle officielle et produisit un très grand effet sur l'esprit de la population déjà fatiguée du gouvernement existant. Elle prit les armes, se rua sur le palais de Moulay Hassan, le chassa de la ville et envoya de suite une députation à Barberousse, pour lui offrir sa soumission et le prier d'inviter Rachid à venir prendre possession du pouvoir suprême.
Moulay Hassan ramassa tous ses trésors, et prenant avec lui sa femme, ses enfants et ses serviteurs les plus affidés, il se retira, du côté du Djérid au milieu des Arabes.

Barberousse, heureux du succès de sa ruse, amène débarque le 16 août 1534, en toute hâte les 9,000 hommes de troupes qu'il avait amenés avec lui, les pousse sur Tunis, dont il traverse rapidement les faubourgs et court s'emparer de la Kasbah où il se fortifie.

Cependant, l'impatience gagne les habitants de la ville ; ils soupçonnent cette trahison, s'agitent, se rassemblent et demandent à grands cris leur nouveau souverain.
Barberousse se décide, il annonce à toute la ville que Les Béni Hafs ont cessé de régner et que ce n'est plus à eux, mais au délégué de la Porte qu’ils doivent obéir, et dont il est le représentant.

Comprenant qu’ils étaient joués, les Tunisiens envoyèrent dire secrètement à Moulay Hassan qu’il pouvait revenir, et que tous ils se réuniraient à lui, pour l’aider à chasser les Turcs.

Le 18 août 1534, Barberousse se présenta de bonne heure, dans la matinée, devant la porte d’El-Djazira avec 4,500 hommes ; au même moment, Moulay Hassan arrivait dans le faubourg opposé, suivi de 4,000 cavaliers arabes. Les Tunisiens avaient pris les armes et se rassemblaient tumultueusement, appelant le roi à grands cris ; mais les Arabes ne voulurent pas accompagner plus loin Moulay Hassan, et s’arrêtèrent dans le faubourg. Le roi entra seul dans la ville où les Turcs venaient de pénétrer par l’autre porte.
Pendant toute la journée, on se battit dans les rues. D’abord, les habitants eurent l’avantage. Plusieurs Turcs isolés furent massacrés, et les autres refoulés dans la citadelle que les Tunisiens pressaient de toutes parts. Le lendemain, Barberousse ordonna une nouvelle sortie : 1800 renégats et janissaires se précipitèrent dans la ville; leurs escopettes firent merveille et les Tunisiens s’enfuirent en désordre. Poursuivant leur victoire à travers les rues, les Turcs pénétrèrent dans les maisons et tuèrent tous ceux qui s’y trouvaient : 3000 Tunisiens, hommes, femmes et enfants succombèrent dans cette triste journée et 600 furent blessés ; quant aux Turcs leurs pertes sont de beaucoup inférieures.

Enfin, les habitants se soumirent à Barberousse et le reconnurent pour roi. Pendant que ceci se passait dans la ville, au-dehors Moulay Hassan, qui avait rejoint les Arabes, se trouvait dans un grand danger. Voyant que les Turcs étaient les plus forts, ses sauvages auxiliaires voulurent le livrer à Barberousse, et ce ne fut pas sans peine que Moulay Hassan parvint à leur échapper.

Le sultan déchu n'avait plus de ressource que parmi les Arabes; et ceux-ci, il est vrai, étaient bien nombreux et puissants. Alors Khaireddine tâcha de les attirer à son parti en flattant leur avidité et leur avarice.
Il écrivit aux principaux Cheikhs des Drid et des Nememcha, en leur envoyant des burnous, des draps et des présents, et que celui d'entre-eux qui pourrait saisir le sultan El-Hafsi et le lui amener, recevrait une récompense de trente mille ducats, tandis qu'au contraire celui qui protégerait son évasion, outre qu'il encourrait son indignation aurait à subir sa vengeance.

Les Arabes répondirent que les Sultans de la famille de Béni Hafs avaient coutume de leur donner annuellement depuis un temps immémorial des subsides convenus, en espèces et en denrées, et que si Khaireddine voulait se soumettre aux mêmes usages, ils passeraient à son service.
Khaireddine, satisfait de cette ouverture, leur fit dire qu'il consentait volontiers à leur payer les redevances établies en leur faveur, à condition, toutefois, qu'ils ne feraient point de tort à ses sujets, et qu'ils n'établiraient leurs campements que sur les bords du Sahara ou dans les plaines éloignées des villes. En conséquence, il les invita à lui apporter leurs registres, afin de prendre note de ce qu'il revenait à chacun d'eux annuellement, et pour s'assurer de ce qu'ils avaient reçu et de ce qu'on pouvait leur devoir encore pour l'année courante; car les Arabes ont grand soin de conserver les pièces authentiques qui constatent leurs droits et leurs privilèges, et de tenir un compte exact des paiements faits ou à faire par le gouvernement, aux époques fixées par l'usage.

Les Cheiks arabes commencèrent à donner la preuve de leur bonne volonté en se retirant dans le Djérid et ils envoyèrent leurs registres à Khaireddine. Le Pacha fit l'observation alors qu'ils n'avaient plus rien à prétendre du gouvernement pour l'année courante, et il les assura qu'au printemps prochain ils n'auraient qu'à se présenter pour recevoir leur Awayed (droit et du par la coutume).
En outre, et afin de leur inspirer plus de confiance, il envoya à chacun des cheiks arabes qui avaient des droits aux bienfaits du gouvernement, un Teskeré (billet) scellé de son cachet, et spécifiant la somme qui lui était due, avec l'ordre du paiement. Cette générosité de sa part disposa favorablement l’esprit des Arabes et les mit dans ses intérêts.

Ainsi cette une habilité politique fit rentrer dans son sillage les tribus arabes (Drid et les Nememcha) qui tenaient encore à Moulay Hassan. Les autres tribus imitèrent leur exemple, et reçurent aussi de grandes largesses.

A suivre ...

lundi 13 juillet 2009

73- La Conquête de Tunis par les Turcs (1ére partie)

Nous sommes en 1525, la dynastie des Beni Hafs, dont la fondation remontait à l'année 1228 avait fourni pendant plus de trois siècles une longue série de princes, sous le gouvernement desquels le royaume de Tunis avait compté au nombre des états florissants du monde musulman. Cette dynastie touchait au terme de ses prospérités, et sa chute même était prochaine. Cependant Moulay Mohamed soutenait dignement encore la réputation de ses ancêtres; mais on pressentait qu'après lui, nul prince ne pourrait porter, sans fléchir, le poids d'un aussi glorieux héritage

Moulay Mohamed avait eu plusieurs enfants de ses diverses femmes. A cause des rivalités entre les mères des princes, il s’est vu dans l'obligation de tenir enfermé son fils aîné Maamoun, homme extrêmement vicieux, pour l'empêcher de commettre un parricide.
Ainsi, Il désigna pour lui succéder son fils Moulay Hassan, au détriment de son aîné, grâce aux intrigues de sa mère, femme ambitieuse, qui nourrissait ce dessein depuis longtemps.

Donc, à sa mort, survenue en l'année 1525, le plus jeune de ses fils, Moulay Hassan, fut investi du pouvoir, au mépris du droit de ses frères. A peine s’est-il installé sur le trône, que, songeant à se débarrasser de tous compétiteurs, Moulay Hassan ordonna l’assassinat de ses frères. Deux furent immolés à ses terreurs jalouses; le troisième, Rachid, fils d’une esclave noire, parvint à s'échapper et se réfugia prés d'Abdallah, chef puissant d’une tribu arabe, dont il épousa la fille.

Moulay Hassan ne se trompait pas sur la désertion de son frère ; il prévoyait qu'il serait bientôt attaqué. Mais pour réduire autant que possible les moyens de trahison qu'il redoutait autour de lui, il dissimula ses craintes. Puis, un jour, il réunit dans un banquet tous ses parents : frères, sœurs, oncles, tantes, cousins, cousines, et tous ceux qui, de près ou de loin, avaient dans les veines du sang royal tunisien, sous prétexte de leur faire fête et de resserrer leur union.

A la fin du repas, quand il les eut comptés et qu'il se fut bien assuré que pas un ne manquait à l'appel, il les fit empoigner, fit crever les yeux à tous les mâles, quel que fût leur âge, et enfermer toutes les femmes dans des prisons bien gardées.

A la nouvelle de cette cruauté inouïe, Rachid, le frère fugitif, se met à la tête de l'armée de son beau-père, et soulève le plus de tribus qu'il peut ; mais ne se croyant pas encore assez fort il envoie demander du secours à Khaireddine Barberousse, qui venait d’acquérir un grand pouvoir, peut-être sans s'en douter, par la fondation de la régence d'Alger.

Khaireddine Barberousse accueillit le proscrit avec une bienveillance marquée, et, apprenant aussitôt le grand avantage qu'il pourrait tirer de cette circonstance, pour aider à la réalisation de son projet d'annexion de l'état de Tunis aux territoires qu'il avait déjà conquis, il engagea le prince à se rendre avec lui à Constantinople, ou son nom, sa réputation et son crédit lui feraient aisément obtenir les moyens de soutenir ses justes prétentions au trône de la Tunisie.

Rachid, plein de confiance dans ces assurances trompeuses, suivit Barberousse à Constantinople. La, le rusé corsaire persuada sans peine au sultan Soliman que la conquête de Tunis serait facilement réalisable, grâce à la division des partis, et qu'il suffirait pour les rallier et les dominer, de prendre ostensiblement fait et cause pour le prétendant.

Sur-le-champ, les préparatifs de l'expédition commencèrent, et, quelques temps après, une flotte formidable, aux ordres de Barberousse lui-même, quittait le Bosphore et faisait voile vers les côtes d'Afrique. Au moment où elle appareillait, Rachid qui, jusque là, avait gardé une foi entière dans les promesses de ses deux puissants patrons, se vit traitreusement arrêté par leurs ordres, puis jeté dans une prison d'État, d'ou il ne devait plus sortir.

A suivre ...

mardi 20 novembre 2007

72- La Prise de Sfax : un Massacre oublié par l’Histoire (6ème Partie)

Ces deux messieurs, Ali Ben Khlifa et Ali Chérif n'ont pu être fusillés; ils sont à 40 kilomètres de Sfax où ils consultent évidemment les Arabes de la plaine. Ali-Chérif est un ancien artilleur du Bey ; on disait à Tunis qu'il avait été à l'Ecole Polytechnique, alors qu’il n'était qu'un modeste artilleur arabe ignorant, mais très chatouilleux de l'indépendance des Tunisiens.

A Sfax, il était commandant de place et, comme tel, préposé à la manœuvre des vieux canons, quand le gouverneur lui signifia la traité du Bardo. Il refusa d'abord d'y croire, puis il organisa la révolte méthodiquement et patiemment.
La ville de Sfax a d'autant mieux mérité son châtiment exemplaire qu'elle a bien étudié son affaire avant de s'y lancer.

Il a été a trouvé plusieurs fusils Martini déchargés dans les rues, et un fusil Gras et même un capitaine du 93ème fouillant une maison tomba sur un Turque qu’il mit au mur et fusilla.

Le nombre élevé de tués et le manque de purifiants fait craindre que le séjour des cadavres sous une couche de terre trop légère n'apporte aux troupes des émanations dangereuses.

Le soldat n'a que le strict biscuit pour se sustenter jusqu'à présent, un peu de viande de temps en temps, et les adoucissements que les "mercanti" accourus en troupes serrées vendent horriblement cher.

Le malin serait le Parisien qui partirait aujourd'hui ou dans huit jours de Marseille, avec un navire chargé de conserves, de vin, de cognac, de saucisson, de harengs, de café et d'appareils à fabriquer la glace : il ferait fortune en quinze jours au détriment de tous les mercantis sans sou ni maille, qui ne vendent que d'horribles drogues et des viandes pourries.

Deux jours après la prise de Sfax, le cuirassé l'Alma compte toujours à son bord une centaine de réfugiés, hommes, femmes et enfants, qui redescendront à terre le 3ème jour.
Les femmes étaient couchées d'un côté avec les enfants, les hommes de l'autre et, pendant quelques jours, avant l'arrivée du gros de l'escadre, ils ont un peu vécu de pain et d'eau claire.
Maintenant le spectacle était curieux et triste à voir. Les souffrances sont oubliées de tous, et chacun va essayer de se remettre au travail. Cependant, la sécurité n'eut pas grande, il faut que les six bataillons qui sont à Sfax restent à Sfax, et opèrent des mouvements en rase campagne, à dix kilomètres autour de Sfax.

Ces hommes, aujourd'hui complétés au nombre de trois mille environ, sont trop précieux pour qu'on les envoie à Gabès. Si l'escadre va à Gabès, comme cela est dicté par les nécessités d'une répression exemplaire, l'amiral Garnault aura bien assez de ses douze cents marins des compagnies de débarquement, protégés, jusqu'à l'arrivée de troupes fraîches, tirées de France, par les canonnières des escadres.

Telle a été la prise de Sfax. Les Arabes sont vraiment naïfs! Ils n'ont jamais voulu croire, dans l’intérieur, à la prise de Sfax. Dans Kairouan même, ville sainte, où est enterré le barbier du Prophète, les marabouts la nient, se basant sur ceci qu'un projectile ne peut porter à plus de deux mille mètres, et que la rade de Sfax est inabordable pour nos gros cuirassés.

Certains auteurs n’hésitent pas à évoquer que la prise de Sfax a été un souvenir dramatique gravé dans les Bibelots du Pillage dont la population Sfaxienne a été victime.

L'historien Français "Martel" a écrit : "Les valeureux chevaliers du Cheikh se sont opposés avec bravoure a l'armée française qui était bien plus supérieure avec ses canons et ses armes l'obligeant a se cacher dans les casernas et les Bateaux de guerres 15 jours de suite.....et sans la fin des munitions et des renforts Français, Sfax et ses environs auraient pu être une grande tombe pour les soldats Français"Apres la Bataille de Sfax, Le Vieux Ali Ben Khalifa s’est trouvé gravement blessé a la Jambe et comme même, il est reparti défendre Gabès.
Le courage est insuffisant contre la technologie et la force des Canons, Ben Khalifa perdra encore cette bataille mais continuera sa révolte à partir de la Tripolitaine et infligera beaucoup de dégâts à l’armée française mais surtout il ancrera le sang de la révolte dans les générations qui viennent après.





Ben Khalifa - Ali Ben Khalifa - Ali Ben Khalifa -

lundi 19 novembre 2007

71- La Prise de Sfax : un Massacre oublié par l’Histoire (5ème Partie)

Plus tard, sous un vieux porche, eu lieu le conseil des notables, présidé par un lieutenant-colonel, entouré de trente officiers. Les notables ont obtenu l'Aman et ont traité sur l'Alma avec Djellouli, le Gouverneur Beylical, qu'ils avaient expulsé. Il a été entendu qu'ayant toute discussion, ils s'en iraient aux quatre coins de la ville, par deux ou trois, criant à leurs coreligionnaires qu'il y avait trêve et qu'ils pouvaient sortir des caves sans danger pour leur vie.

Il faut dire qu'un avis semblable, lu par des interprètes, n'avait produit aucun effet. Les officiers donnent à chaque notable une garde de quatre hommes, et voilà nos gens partis, criant en arabe et invitant leurs compatriotes à sortir de terre.
Aussitôt, par dix et par quinze, les Arabes se dénichent. Plus d'un jeune troupier demeure stupéfait, et songe au nombre incalculable de coups de fusil qui pouvaient encore sortir des caves.

Tout ce monde avait passé quatre jours sans manger ni boire, ce qui n'est pas excessif pour un Arabe qui fait la guerre sainte. Mais ils ne s'en jetaient pas moins avec avidité sur les tasses d'eau que les soldats leur apportaient.
Ces soldats sont ainsi faits : après avoir fusillé avec rage pendant la lutte, ils s'empressent autour des blessés qui sortent de leurs repaires sur la foi des traités.

Il est probable que le général Logerot viendra, à Sfax prochainement, pour se rendre compte de la situation et décider certaines mesures d'occupation.
Les troupes vont occuper la ligne d'enceinte de la ville, vont faire éclater les canons dont les insurgés se servaient, raser les murailles, trop élevées, et attendre que les Sfaxiens viennent relever leurs maisons, si tel est leur bon plaisir.

D'indemnités, il n'on sera accordé qu'à la condition de les prendre sur les Arabes ; aussi la contribution de guerre qui sera imposée sera-t-elle probablement considérable. Avec l'argent, ou compensera les pertes que le bombardement et les autres faits de guerre auront fait subir aux Européens.
(plus tard, la ville de Sfax, a été imposée pour dix millions de piastres soit environ six millions de franc !!!)

Un seul navire de guerre étranger assistait à la prise de Sfax, le "Monarch", frégate anglaise. Le commandant a été correct, en apparence. Sur l'invitation habile de son gouvernement, il a proposé tout d'abord son concours belliqueux qui fut décliné.

Plus tard, le commandant du Monarch envoya, pendant l'action des escadres, douze barriques d'eau fraîche aux soldats français, ses médecins et ses ambulanciers avec le pavillon blanc à croix rouge de la convention de Genève. II félicita, après l'action, les officiers français de son grade.

En l’espace de quelques jours, la population. Musulmane commence à revenir; elle se méfie toujours un peu, mais cela passera. Les Arabes insurgés sont toujours réfugiés dans les jardins de Sfax qui ont six lieues d'étendue. II faudrait une armée pour les traquer, mais il est probable que le terrible châtiment que les Sfaxiens ont subi pacifiera cette contrée.

On se figure sans doute en France que Sfax est une petite ville, un bourg fortifié, quelque village arabe perdu sur la côte sud de la Tunisie.
Or il faut savoir que Sfax était, après Tunis, la ville la plus importante de toute la Régence. Rivalisant avec Tripoli pour le commerce des huiles, des alfas, des plumes d'autruche, des fruits et des froments, Sfax venait avant Sousse, avant Monastir et avant Mahdia, ces trois ports d'exportation de la Tunisie, aussi inconnus des Parisiens qu'ils sont fréquentés des trafiquants méditerranéens, Grecs, Maltais, Algériens et autres.

Quinze mille habitants aisés demeuraient à Sfax. Après l’acte de guerre, ils commencent à revenir. Le colonel Jamais les a autorisés à rentrer en ville, mais à la condition d'être accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants : les célibataires sont soigneusement écartés; un conseil d'examen préside à ce triage et siège en permanence à la place.

Au lendemain de la prise de Sfax, il y a eu un petit marché aux portes de la ville. On y a vendu aux troupes et à l'escadre du raisin et des volailles ; c'est le commencement de la détente. Un ordre du colonel Jamais a prescrit hier la mise en accusation, devant le conseil de guerre, de tout soldat qui soustrairait un objet des maisons aujourd'hui rouvertes.

Le sous-gouverneur a repris ses fonctions, en attendant que Djellouli ose reprendre les siennes. Le vieux gouverneur de la ville est toujours réfugié à bord de l'Alma; il rentrera en ville demain, quand une centaine de familles seront réintégrées. Celles qui sont déjà revenues sont remises en possession de leurs maisons, ou du moins de ce qui reste : elles font en partie le "popotte" avec les troupiers, car il ne leur reste en général pas une fourchette ni une tasse. Tout a sauté en l'air ou s'est fondu dans le feu.

La veille de la prise de Sfax, entre minuit et une heure, il y a eu une alerte : cent cavaliers de la plaine environ sont venus attaquer les chameaux d'un groupe de Sfaxiens, campés à proximité de la ville et prêts à rentrer chez eux au petit jour. Ces Arabes vont sans doute sur Gabès et ont besoin de moyens de transport; ils ont vigoureusement attaqué les Sfaxiens qui, tous armés, se sont défendus. Nos Gardes ont été à leur tour attaquées par les cavaliers que les Sfaxiens avaient repoussés, et des feux de salve bien nourris en ont jeté bon nombre à terre.

Ces alertes nocturnes ne discontinuent pas ; elles entretiennent l'inquiétude du soldat, car, chaque nuit, on entend des coups de fusil autour de la ville. Les troupes françaises ont construit près des remparts arabes des tranchées en terre et des épaulements, en cas de retour offensif d'Ali Ben Khlifa, le grand meneur de toute l'affaire de Sfax, avec Ali Chérif, l'ancien commandant de place.

A Suivre ...

vendredi 16 novembre 2007

70- La Prise de Sfax : un Massacre oublié par l’Histoire (4ème Partie)

A dix heures du soir tout était fini. Notre escadre avait tiré plus de deux mille coups de canon et l'ennemi avait perdu de six à huit cents hommes et il était découragé, surtout à cause de la mort de plusieurs de ses chefs, notamment de Belkassem ben Djerouda qui avait la réputation d'être très redoutable.

Certains responsables civils sont descendus à terre avec les officiers. Les Européens étaient encore consignés à bord des vaisseaux de guerre où ils s'étaient réfugiés, car la prise de Sfax n'était pas terminée; on continuait à faire sauter les maisons et à en déloger les insurgés.
La ville, entre incendies et démolitions était en ruines littéralement et, de toutes parts, ce ne sont que trous énormes, brèches béantes, produites par les obus de quinze navires tirant sans désemparer.

Un détachement d'artillerie a occupé la batterie rasante, dont les vieux canons, du temps de Louis XVI, ont été encloués par les marins français.
Uniquement au niveau de la tranchée de défense, d'où une forte odeur cadavérique commence à s'échapper, il y a trente-sept corps d'Arabes tués sur les balles d'alfa et qu'on a enterrés, à quelques centimètres, dans la tranchée même.

Les soldats du 93ème de ligne et du 77ème sont campés dans les ruines du quartier européen, qui forme la partie basse de Sfax.

A l’intérieur de la Médina, qui est réduite en miettes par les torpilles, l'aspect général devient plus sombre. On marche sur les étoffes, sur les meubles brisés, sur les registres de comptabilité, sur les ustensiles les plus divers, que les explosions ont violemment projetés avec les décombres ; les soldats sont noirs de poudre; ils montent la garde deux par deux, et de vingt pas en vingt pas, pendant que les officiers et les sous-officiers visitent les maisons avec des pelotons de dix hommes, fouillent les caves, et barricadent ensuite les portes, en écrivant dessus le mot "visité"

En avançant encore dans la ville arabe, le spectacle devient encore plus curieux et plus inattendu : chaque rue est encombrée de moellons et de morceaux de minaret tout entiers; les soldats, pour se reconnaître dans ces dédales, ont donné aux rues les numéros de leurs régiments : rue du 92ème, rue du 77ème.

La Grande Mosquée, qui est fort belle; est occupée par le bataillon du 77ème. Son aspect est singulier avec son étendue, ses voûtes soigneusement blanchies, aux colonnes de marbre, et sur les nattes de laquelle les troupiers ont établi leur domicile.
Des militaires loustics font la soupe habillés en grands prêtres, avec des robes invraisemblables et des calottes de toutes les couleurs.
Le turban vert et le drapeau du prophète servent de ceintures à nombre de cuisiniers. Six cents hommes sont logés là-dedans comme des princes ; aussi est-ce avec douleur qu'ils apprennent de leurs officiers que demain on rendra la mosquée au culte des Sfaxiens qui auront réintégré leurs domiciles, bien démolis au surplus.

Les quatrièmes bataillons des 92, 93, 77, 136 et 137ème de ligne rapporteront en France quelques bibelots provenant de la prise de Sfax ; plus d'un troupier a mis dans son sac un fichu de soie ou des pantoufles brodées pour sa payse ; mais, malheureusement, le sac du soldat est lourd et déjà rempli par les objets nécessaires. Il faudra s'en aller à Gabès par étapes, et alors, adieu les souvenirs de Sfax !

On a ramassé dans la mosquée un Coran très précieux qui appartenait à l’Imam de la mosquée qui a été tué dedans en poussant des cris de mort contre les chrétiens et excitant ses coreligionnaires à la résistance, alors que, déjà, la ville était prise.

Le colonel Jamais, qui commande maintenant la place sous les ordres du général Logerot, et en dehors de l'autorité des amiraux, occupe le premier étage d'une maison restée à peu près intacte.
Il a donné l'ordre de conduire à bord de l’Alma les notables Sfaxiens qui demandent à transiger et à discuter les conditions de la paix. Ces notables qui ont l'air d'être cossus ; l'un d'eux possède douze maisons dans Sfax, disent que les insurgés les ont forcés de se mettre avec eux, ce qui est bien possible, mais ce qui n'est pas absolument certain.
Enfin, aujourd'hui, ils sont venus demander l'Aman, l'éternel aman, et, après avis du Gouverneur Djellouli, réfugié à bord de L'Alma depuis quinze jours, on va le leur accorder.

Il paraît que les Sfaxiens s'étaient préparés à cette guerre des maisons, car c'est ainsi qu'ils nous ont tué du monde. Les pertes que nous avons faites peuvent se décomposer ainsi :
Marins : tués, 13 ; blessés, 26 (transportés à l'ambulance à bord de la Sarthe).
Troupes de ligne : tués, 25 ; blessés, 80.
Total pour les différentes armes : 38 morts et 106 blessés.

Les morts on été enterré solennellement dans le cimetière européen de Sfax. La cérémonie religieuse avait eu lieu à bord de l'Alma; puis une seconde cérémonie avait été célébrée dans la mosquée, par le curé catholique de Sfax, un Maltais.

A propos de la Kasbah, il faut dire que, contrairement à ce qu'on croyait, elle n'était point défendue par une garnison. Lorsque les torpilles en eurent détruit la porte massive, soigneusement fermée, on ne trouva dans l'intérieur qu'un Arabe, qui se mettait en devoir de faire sauter la poudrière. Séance tenante il fut passé par les armes, et un grand malheur put être évité.

Le palais du gouverneur, situé au sommet de la ville arabe, est une petite merveille de décoration orientale. Le commandant Gardarein, du 93ème de ligne ne peut pas se plaindre
De ce quartier général qui lui est échu en partage.

A suivre ...

jeudi 15 novembre 2007

69- La Prise de Sfax : un Massacre oublié par l’Histoire (3ème Partie)

Le canon du Colbert retentit, et l'escadre entière aussitôt répond : une grêle d'acier et de feux, franchit les eaux calmes du golfe et vient éclater sur la ville, réduire en poussières ses maisons, ses coupoles et ses minarets.
Un fracas de détonations, un embrasement du ciel par les obus de 187 kilos, qui saisit d'admiration les officiers et les matelots restés à bord de l'escadre, tandis qu'il inspirait une crainte instinctive aux trois mille hommes de débarquement empilés sur des chalands, et pardessus les têtes de qui passait toute cette mitraille diabolique

La ville de Sfax, pendant ce temps-là, brûlait et sautait, non sans difficulté, car les murs en sont terriblement durs, et plus d'un obus traversait les maisons sans les endommager gravement. Les Arabes appelaient la ville « Sfax la Forte », et non sans raison, car évidemment, si des forces européennes avaient défendu cette place, il eut fallu dix jours et vingt mille hommes pour l'emporter.

Les trois bataillons fusiliers marins de débarquement les plus importantes, celles du Colbert, de l'Alma, et de la Reine-Blanche, étaient commandées par les capitaines de vaisseau qui sont les commandants de ces bâtiments : Mr. Marcq de Saint-Hilaire, Miot et de Marquessac ; des lieutenants de vaisseau, des enseignes et des aspirants complétaient les cadres et conduisaient énergiquement ces 1,600 marins.
Le bataillon de 1,200 hommes d'infanterie commandé par le Colonel Jamais, envoyé de Rouen à Sfax uniquement dans ce but, s'approchait du rivage sur les chalands du transport la "Sarthe". Le Contre-amiral Conrad dirigeait l'ensemble sous les ordres du Vice-amiral Garnault.


Pendant ce temps, les Arabes qui défendaient la ville, au nombre de 3,500 à 4,000, s'enfuyaient dans les jardins inexpugnables de Sfax où ils étaient et sont encore, et les seuls fanatiques, estimés à 1,200, restaient pour se défendre corps à corps aussitôt que leurs batteries rasantes, armés de vieux canons rouillés, seraient aux mains des assaillants.

Les remparts de la Médina étaient durs comme du fer et capables de résister à une grosse artillerie. Les Arabes avaient raison de mettre leur confiance dans ces fortifications incroyables; il faut les avoir vues pour comprendre tout ce que 1,200 Arabes fanatiques ont pu en tirer.

L'Amiral Garnault, placé près du rivage, sur "le Desaix", fait signe de cesser le feu à huit heures, et aussitôt les gros canons et les canonnières se taisent. La ville flambe.
C'était le moment de s'emparer de la batterie rasante et de la Kasbah, situées l'une à droite, l'autre à gauche de la ville, toutes deux au bord de la mer.

Le débarquement s'opère sous une grêle de balles, que les insurgés tirent à vingt mètres. Les officiers de terre et de mer enlèvent alors leurs troupes, et une charge meurtrière commence dans une tranchée, profonde de deux mètres et protégée par de grosses balles d'alfa, où les Arabes se sont embusqués.

La première compagnie du 92ème de ligne, Capitaine Bouringuer, s'empare alors de la tranchée dans un combat corps à corps des plus brillants. Son Lieutenant, Mr. Marchand, et son Sous-Lieutenant, Mr. Dailly, tombent grièvement blessés ; six hommes et bientôt dix-sept sont mis hors de combat, tandis que les Arabes de la tranchées ont perdu trente-sept hommes en un clin d'œil.
Les jeunes soldats du 92ème, qui viennent de la Manouba, sont dignes de leurs aînés, et tout le monde s'attend, à Sfax, à voir la compagnie de la 92ème mise à l'ordre du jour de l'armée.

Pendant que les fantassins accomplissent ce fait d'armes, les marins placés plus à droite sur la plage se ruent comme de véritables tigres sur la batterie rasante, qu'ils escaladent sans faiblir, toujours en perdant du monde et toujours en abattant les Arabes.
Sans hésitation, un Quartier-maître du "Trident" arrive sur le sommet de la redoute et y plante le pavillon de son canot, qu'il avait emporté sans mot dire. Le pavillon est criblé de balles et le quartier-maître tombe raide mort, victime des traditions de la vieille France.
Il est aussitôt remplacé par dix autres que canardent les Arabes du haut de leurs remparts envahis. Cinq cents marins ont tourné la redoute, et la batterie rasante est prise. On fusille un lot d'insurgés qui cherchent à fuir, et les troupes sont maîtresses de la place dans toute sa longueur.

La guerre des rues commence alors : en effet, au premier moment d'effroi, beaucoup d'Arabes se sont réfugiés dans leurs caves et, de là, ils tirent à coups redoublés sur le 136ème, sur le 71ème, sur le 93ème qui, croyant la ville ouverte, s'avançaient rapidement vers le sommet des rues, qui vont toutes en pente vers la mer.
Les soldats, frappés par derrière, commencent à tomber en assez grand nombre. On fouille alors les maisons une à une ; on y fusille tout ce qu'on trouve les armes à la main, et une véritable chasse à l'Arabe commence dans Sfax déserte, pour se continuer trois jours encore.


L'Officier torpilleur de la Reine-Blanche, Mr. Debrem, Lieutenant de vaisseau, dont le concours a été des plus précieux, est chargé de faire sauter avec du fulmi-coton des pâtés de maisons où les Arabes se défendent à outrance. Ce procédé expéditif terrifie ceux qui ne sont pas écrasés, mais ils n'implorent aucun pardon.
La défense de Sfax par les Arabes a été héroïque, autant que le bombardement et l'assaut par nos troupes ont été dignes des plus beaux faits d'armes de l'armée d'Afrique.

Il ne faut pas s'y tromper, la prise de Sfax est un fait de guerre autrement important que tout ce qui s'est passé en Tunisie jusqu'à cette date.

A suivre ...

mercredi 14 novembre 2007

68- La Prise de Sfax : un Massacre oublié par l’Histoire (2ème Partie)

Liste et photos des principaux Navires de Guerre qui ont participé à la Prise de Sfax.

Le Trident (1876)



La Surveillante (1864)



La Reine Blanche (1869)


La Galissonnière (1872)

L'Alma (1869)


l'Intrépide (Ex- Valmy) (1847)


Le Friedland (1876)


Le Colbert (1875)

mardi 13 novembre 2007

67- La Prise de Sfax : un Massacre oublié par l’Histoire (1ère Partie)

Dès la capitulation du pays des Kroumirs, ensuite de Tunis la Capitale de la régence et la signature du traité du Bardo par Sadok Bey qui institua le Protectorat français sur la Régence, Mr Roustan, le Résident Général et avec l’aide de ses Généraux prit les premiers arrangements nécessaires pour compléter la domination de tout le nord de la Régence.


Les quelques résistances s'éteignaient tous les jours; les tribus visitées par l’armée française venaient solliciter l'Aman et remplir les conditions qui leur étaient imposées : désarmement, obligation pour la tribu de reprendre ses campements ou installations habituels ; fourniture de mulets pour le service des transports de l’armée française; provision de 40 francs par tente à verser au Trésor par les tribus contre lesquelles les Algériens, Européens ou indigènes avaient présenté des revendications fondées; engagement à payer, comme contribution de guerre, telle somme que le gouvernement fixerait ultérieurement; livraison des réfugiés, condamnés, contumaces, gens dangereux réclamés par les français et livraison d'otages à titre de garantie pour l'exécution de ces conditions.

Le Général Logerot entreprit aussi de châtier certaines tribus frontalières, ainsi il parti en razzia avec 4 bataillons contre des fractions des Chihia, des Beni-Mazen, les Ouled Ali M'fodda, les M'rassen et les Ouchteta. Il leur imposa des dures conditions, emporta même avec lui des otages et infligea une grande ruine aux Ouchtetas.


La campagne était finie : en quelques semaines, l’armée française à su établir l'ordre dans le pays et sa domination était reconnue par les tribus soumises. L’Armée Française ne devait donc pas s'attendre à être obligés de bientôt reprendre la lutte. C'est cependant ce qui arriva.

Depuis des longs mois des Mokaddem de l'ordre religieux des Senoussia répandus par millions à travers l’Afrique et qui vouent une haine implacable aux chrétiens parcourent
Le sud Tunisien, en prêchant la guerre sainte et annonçant le triomphe prochain des vrais croyants.

De même, surexcité par les fonctionnaires turcs de la Tripolitaine, le Colonel "Amir Liwé" Sidi Ali Ben Khlifa (70 ans) qui est aussi le Caïd de plusieurs localités du centre-ouest refuse le traité du Bardo et se révolté même contre le pouvoir du Bey.

Malgré les tentatives du Bey de rallier l’ensemble des tribus autour de lui par la force ou par la corruption, Ali Ben Khlifa, aidé par son frère Hadj Salah Ben Khlifa, est arrivé à avoir l’allégeance de plusieurs tribus qui se sont adhérés à sa cause, celle de combattre l’envahisseur Français.

En Juin 1881, Ali Ben Khalifa réussi à réunir les chefs des tribus du Sud et du centre Tunisien ainsi que les plus importants Chefs Religieux et les Hommes Influents du pays dans la symbolique mosquée de "Okba Ibn Nefaa" a Kairouan. Officiellement, la Résistance à l’envahisseur Française et à l’autorité Beylicale viennent d’être déclarés.

De même Ali Ben Khlifa se retourne vers le Dey de Tripoli et le Sultan Turc pour leur demander aides et armes qui ne parviendrons jamais aux insurgés.

Sans attendre le secours Turque, le Vieillard et par les propres moyens de sa tribu les Neffets, commence à armer les insurgés et entama une guérilla qui dura 4 ans pendant lesquels il eu une série d'engagements très meurtriers avec les contingents d’Ali-Bey.

Le 25 juin 1881 et avec l’aide des cavaliers de la tribu Mhedhba, Ali Ben Khlifa remporta une victoire écrasante contre un groupe de Soldats du Bey dans la région de Sfax.
Encouragés par cette victoire, beaucoup d'autres cavaliers et guerriers des tribus tunisiennes ont rejoints la Guérilla et le 2 Juillet 1881, Ali-ben-Khalifa fut même nommé Bey avec Sfax comme capitale provisoire.

Lors de la révolte de la ville de Sfax, certains Européens furent massacrés, et les étrangers ainsi que certains notables y inclus le Caïd Local Djellouli durent se réfugier à bord des navires en rade.

Sous les ordres du vice-amiral Garnault, l’escadre de la Méditerranée, avait été chargée d'aller prendre Sfax et le 14 juillet au soir, les cuirassés "le Colbert", vaisseau amiral, "le Trident", "le Marengo", "le Friedland", "la Surveillante", "la Revanche" et "la Reine-Blanche", "la Galissonière" et "l'Alma"; les canonnières "la Pique", "le Chacal", "le Léopard", "l'Hyène" et "le Gladiateur"; les transports "la Sarthe" et "l'Intrépide" sont mouillés devant la villa de Sfax.
Dans les premiers jours de juillet et après échec des négociations avec les arabes, l'escadre française entama le bombardement de la ville pendant tous les jours pour ne s’arrêter que le soir. La nuit, les arabes réparaient et rebâtissaient ce que les obus avaient démoli, mais ils ne pouvaient pas faire ressusciter leurs nombreux morts.

Après un essai infructueux tenté le 8 juillet, le vendredi 15 commence un bombardement lent avec les grosses pièces des gaillards, tandis que les canonnières au-dessus desquelles passent, en deux étages, les obus de l'escadre et de la division du Levant, cherchent à démolir les défenses de la plage et à faire brèche dans la muraille. Cette première opération prépare le débarquement et l'attaque qui sont ordonnés pour le lendemain. Les transports la Sarthe et l'Intrépide fournissent deus canots-tambour ou chalands plats en tôle dans lesquels on installe des canons qui pourront approcher très prés du rivage et contribuer puissamment à protéger le débarquement.


Au point du jour du samedi 16 juillet 1881 et de l'aveu de tous les témoins, un bombardement mémorable, qui a duré à pleine volée pendant deux heures, rappelait les plus effrayants spectacles du genre, y compris la canonnade nocturne de Cherbourg servie par les mêmes cuirassés, il y a juste un an.

A Suivre ...